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Sorties de la Semaine - Page 59

  • Grand écran: le Roumain Radu Jude dénonce l'obscénité publique dans son "Porno barjo"

    Réalisateur roumaIn récompensé d’un Ours d’or à la dernière Berlinale, Radu Jude s’attache à raconter l’histoire de son pays au passé ou au présent. Et comme toujours, il ne craint pas de choquer. Dans Bad Luck Banging or Loony Porn (qui peut se traduire en français par Baise malchanceuse ou  porno barjo), il propose une réflexion à la fois humoristique et répulsive sur la société à l’heure d’internet, dont il stigmatise l’hypocrisie et  la vulgarité. Précisons que l’auteur a tourné en pleine pandémie avec des acteurs portant des masques du début à la fin.

    Structuré en trois chapitres distincts au montage audacieux et un rien déconcertant, le film ouvre sur une sextape, montrant dans leur intégralité la plus crue les ébats d’Emi (Katia Pescariu), enseignante d’histoire, avec son mari. On retrouve la prof plus tard tandis qu’elle traverse Bucarest pour se rendre à son lycée. Elle voit alors sa carrière et sa réputation menacées, en découvrant que ce porno amateur, posté par une personne déloyale sur les réseaux sociaux, est devenu viral. 

    Profitant de la déambulation de son héroïne dans les différents quartiers, Radu Jude oppose la prétendue obscénité de la vidéo à celle, autrement plus toxique et inquiétante d’une ville laide, durement frappée par la pandémie, peuplée de cinglés incivils, injurieux et de mâles sexistes. En colère, il brosse un portrait au vitriol d’un Etat misogyne et violent.

    Tribunal populaire

    Dans la troisième partie en forme de tragi-comédie, Emi gagne tête basse son école où l’attendent ses collègues et des parents d’élèves. Se déclarant scandalisés par son comportement, ils s’érigent en tribunal populaire dans la cour de l’établissement, en brandissant hypocritement les valeurs de la nation. 

    Puritains bourgeois ridicules s’indignant faussement, ils rivalisent de bêtise, d’outrance  et de mauvaise foi pour la sanctionner. Mais Emi refuse de céder à la pression de ces juges de pacotille  exigeant son renvoi pour une simple baise entre adultes consentants. Et se met à les questionner avec causticité sur la véritable indécence régnant dans nos sociétés. La comédienne Katia Pescariu livre une remarquable performance dans ce rôle difficile. 

    Un morceau philosophico-loufoque

    Entre ces deux segments  Radu Jude, se référant à Godard, son modèle, nous propose un abécédaire sociétal et analytique, en superposant des images d’archives historiques. Une énumération philosophico- loufoque où, entre humour, ésotérisme et excès, l’auteur parle de sexisme, de viol, de guerre, de religion, de consumérisme, d’exactions sous l’ère Ceaucescu, de totalitarisme, de populisme et de néo-libéralisme échevelé. 

    De passage à Genève, Radu Jude nous en dit plus sur son film parti de faits divers parus dans la presse tabloïde sur le licenciement de professeurs pour des motifs relatifs à leur vie privée. «Des histoires superficielles mais à la profondeur cachée», relève-t-il.

    -Sous prétexte de farce, vous vous livrez à une satire virulente, mi-sociale, mi-politique.

    -En Roumanie, on ne sait pas ce qui est le plus mauvais à éviter. Il n’y a pas trop d’espoir. Le pays est devenu classiste. Il existe une grosse différence de conditions sociales. Actuellement l’extrême-droite monte. 

    -Vous vous montrez provocateur en dénonçant l’obscénité publique. 

    -J’avais même imaginé un autre titre. Essai sur l’obscénité. Mais je le trouvais un peu prétentieux. Pour tout vous avouer, j’ai  du mal à définir mon film. C’est un mélange. Il est économico-politique dans le fond, expérimental dans la forme. Il est aussi poétique. Mais à la Malraux. Il disait que la poésie a une relation causale aux choses. Quant au côté provocateur, je suis avant tout quelqu’un qui essaye de penser le monde en utilisant les outils du cinéma.

    -Ce qui est logique pour un fou de septième art comme vous.

    -En effet. J’aime lire et manger, mais le cinéma est le centre de mon existence. Etre réalisateur c’est opérer des connections. Le cinéma est un concentré de vie. Il y est intimement lié. Donc on doit avoir une vie  pour parler des choses qui s’y passent. 

    -Dans la mesure où vous avez tourné pendant la crise sanitaire, tous vos acteurs portent des masques. Souvent avec des slogans complètement décalés.

    -Je les ai choisis comme des costumes. Le masque chirurgical devient un symbole du masque social. En même temps, cela rend le film plus austère, plus protestant.

    -Vous avez remporté l’Ours d’or. Pensiez-vous que c'était possible?

    -Si c’est un succès, j’ai un jour pour fêter, me disais-je. Sinon, j’ai un jour pour pleurer. Et puis, dans les deux cas, je me remets au boulot...

    A l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 15 décembre.

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  • Grand écran: "Don't Look Up: déni cosmique", satire jouissive sur la fin du monde

    Persuadés qu’une gigantesque météorite fonce sur la Terre et menace de la détruire, deux astronomes tentent d’alerter ses habitants confrontés à cet abyssal péril. Bof, encore un film sur la fin du monde avec scènes habituelles de dévastation, une poignée de survivants errants et hagards préfigurant l’extinction de l’humanité, a-t-on envie de dire. En plus produit par Netflix! 

    Eh bien on se trompe, car c’est compter sans l’humour décoiffant et décalé d’Adam McKay, à qui l’on doit notamment The Big Short et Vice. Il propose une comédie de science-fiction satirique au casting cinq étoiles, où il pourfend le système politique, social et médiatique, sur fond de dénonciation de crise écologique ignorée de tous. 

    C’est ainsi que les dr Kate Dibiasky et Randall Mindy (Jennifer Lawrence et Leonardo DiCaprio) un rien barjos et du coup peu crédibles, commencent par se rendre à la Maison Blanche  pour prévenir sa présidente (Meryl Streep) du danger imminent. Mais cette Trump lookée bimbo sur le retour, préfère en rire. Tout comme son ersatz de chef de cabinet, en l’occurrence son fils (Jonah Hill).

    Faute d’être pris au sérieux par le pouvoir, les astronomes entreprennent  une tournée des médias, également foireuse au début. Surtout à la télévision où l’animatrice, seins en avant (Cate Blanchet), les prend pour des hurluberlus. Inutile de préciser qu'elle s’intéresse davantage à  l’éventuel divorce d’un couple de stars qu’à la collision fatale  annoncée. Mais la menace se précise et tout finit par s’emballer entre chaos et panique collective.

    Pour mieux nous séduire, Adam Mc Kay s’amuse à caricaturer à l'extrême ses protagonistes, plus farfelus les uns que les autres. Jennifer Lawrence frise la névrose, Leonardo DiCaprio, méconnaissable à l’entame du film, est terriblement angoissé et mal dans sa peau, Meryl Streep  ridicule avec sa perruque à boucles anglaises, Jonah Hill grotesque dans son incompétence crasse. Timothée Chalamet et Ariana Grande ne sont pas plus gâtés par l’auteur.

    On ajoutera quelques effets spéciaux ambitieux pour pimenter ce Déni cosmique, à la fois loufoque, insolite, corrosif, cynique. En gros, jouissif.
     
    A l’affiche dans les salles de Suisse romande depuis mercredi 8 décembre. 

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  • Grand écran: "West Side Story", relecture personnelle réussie et excitante de Spielberg

    Question légitime en découvrant les intentions de Steven Spielberg: quel intérêt avait-il à revisiter West Side Story, ce monument de la culture populaire américaine inspiré du shakespearien Roméo et Juliette et appartenant depuis soixante ans au patrimoine cinématographique? A priori aucun. Mais le réalisateur a évidemment décidé de nous persuader du contraire en livrant sa version du mythe aux dix Oscars, dont celui remporté par Rita Moreno, première actrice hispanique à décrocher une statuette. 

    Il est vrai qu'il y pensait depuis longtemps. La comédie musicale de Robert Wise, Jerome Robbins et Leonard Bernstein, révolution dans le genre avec son impact social et son décor urbain, est en effet l’un des films, découvert à 11 ans, qui l’a le plus marqué dans sa jeunesse. Et disons-le sans tarder, le maestro hollywoodien a parfaitement réussi son pari. .

    Pauvreté, xénophobie, préjugés, violence, tout y est.  Respectant donc son modèle à une ou deux exceptions, par exemple l’introduction inédite d'un personnage qu'on ne révélera pas, Spielberg apporte cependant sa touche personnelle. Il se montre plus réaliste, avec une nouvelle approche de la mise en scène en tournant dans les rues et le renforcement du côté politique. Il faut reconnaître qu’il est bien aidé par le contexte actuel où rien n’a beaucoup changé, si on considère l’immigration, le communautarisme, ou la circulation des armes dans le pays...  

    Tragique passion interdite, brisée par la haine

    Petit rappel du spectacle musical créé à Broadway en 1957 et porté à l’écran quatre ans plus tard, adaptation qui lui a valu sa célébrité. Dans l’Upper West Side de Big Apple, les Jets venus de l’immigration européenne (polonaise irlandaise, italienne) et les Sharks, d’origine portoricaine, se castagnent régulièrement pour l’occupation du territoire. Tony, ancien chef des Jets, sort de prison et tente de se tenir à carreau. Mais à l’occasion d’un bal où les deux gangs se retrouvent, il tombe fou amoureux de Maria, la sœur du chef des Sharks. Il n’en faut pas davantage pour attiser une guerre déjà largement déclarée... 

    Les fans, comme ceux qui la découvrent, ne pourront ici que s’enthousiasmer pour cette tragique passion interdite brisée par la haine, magnifiquement renouvelée sans la trahir. Visuellement, musicalement, on est comblé. Outre les célébrissimes chansons (America, Maria, Tonight, Somewhere, I Feel Pretty...) aussi remarquablement interprétées que dans l’original, Steven Spielberg  nous emporte avec d'excitantes chorégraphies virtuoses. 

    Contrairement à Wise, il a par ailleurs choisi des latinos pour jouer les Sharks et tous les acteurs sont plus en accord avec leur âge. Il nous fait notamment découvrir Rachel Zegler, excellente incarnation de Maria (la Juliette de l’histoire). On craque également pour Ansel Elgort (son Roméo alias Tony), révélé dans Nos étoiles contraires. Les seconds rôles ne sont pas en reste et l’ensemble permet à cette relecture emballante de West Side Story de conserver toute sa puissance de révolte et d’espoir. C’est bien là l’essentiel.

    A l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 8 décembre. 

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