Grand écran: "Petite nature", mais grande découverte avec la révélation Aliocha Reinert (23/03/2022)

Dix ans, faussement frêle avec son irrésistible gueule d’ange, son look féminin et ses longs cheveux blonds, Johnny (Aliocha Reinert) ne s’intéresse qu’aux histoires des adultes. Dans sa cité HLM de Forbach en Lorraine, l’un de ces territoires perdus de la République, il sait jouer des poings quand il faut, s’occupe de sa petite sœur et observe avec une curiosité condescendante la vie sentimentale triste et agitée de sa mère. Aimante façon louve protégeant sa progéniture, elle est parfois dure, impitoyable et trop portée sur la bouteille.

Astucieux, débrouillard, Johnny a soif d’ailleurs. Son but, échapper à sa condition. Et justement cette année-là, les choses semblent pouvoir changer lorsqu’il intègre le cours de Monsieur Adamski (Antoine Reinartz), venu de Lyon avec sa femme Nora (Izia Higelin), conservatrice de musée. Tout ce que le gamin idéalise. Immédiatement séduit par son savoir, ses connaissances, son statut, le sapiophile tombe amoureux de son nouvel instituteur.

Ce n'est pas étonnant dans la mesure où ce dernier croit fermement dans le potentiel et l’intelligence de ce préado bridé par son milieu dans ses ambitions d’ascension sociale. il s’en occupe alors davantage que des autres élèves, lui ouvre les portes d’un monde différent grâce à la poésie de Blaise Cendrars et va, sans se rendre compte de son erreur, jusqu’à passer du temps avec lui en-dehors de l’école. Comme cette visite au Centre Pompidou-Metz, où Johnny découvre une œuvre symbolique de son combat de transfuge de classe.

L'auteur un instant sur la corde raide

Du coup, Samuel Theis marche sur la corde raide et on redoute de voir cette relation glisser sur la pente dangereuse de la pédophilie. Plus particulièrement à la faveur d’une scène dont le côté trouble est induit par Johnny, prêt à tout pour s’attirer les préférences de son mentor. Rien de tel pourtant. La fascination du gosse est à sens unique, l’instituteur lui opposant un refus catégorique. Evitant le piège, le réalisateur se sort brillamment de cette situation périlleuse en se mettant à hauteur de l’enfant et en montrant les choses à travers son regard.

Dans ce récit d’apprentissage, son  deuxième long métrage après  Party Girl , Samuel Theis explore ainsi l’éveil confus de son héros à la sexualité, la prise de conscience de son identité, son désir d’émancipation. Subtil, fort, tendre, pudique, Petite nature est une grande réussite à laquelle contribue largement le très attachant Aliocha Reinert. Portant le film de bout en bout il est impressionnant de justesse et de charisme dans le rôle d’un personnage rebelle ambivalent. Une véritable révélation dans cette ambitieuse pépite qui avait eu les honneurs de La Semaine de la critique en juillet dernier à Cannes.

«J’avais ce sujet en tête depuis longtemps. C’est autobiographique. Je suis même allé plus loin », nous raconte le beau Samuel Theis rencontré récemment à Genève. « Il s’agit  d’un film sur l’affirmation de soi, de son identité, alors qu’on a souvent tendance à être ce qu’on vous pousse à être. Un récit d’émancipation sur les éveils sexuel, intellectuel, affectif, social ».

-Votre petit héros  vient d’un milieu défavorisé dont il a honte. Il veut échapper à son destin.

-Oui, J’ai moi-même violemment ressenti cette honte. Johnny est en colère. Il se cherche, crie sa différence à la face de sa mère et des autres adultes. Toutefois, si la lutte sociale est à l’œuvre, je ne montre pas un rapport frontal entre les classes, mais  un rapport de fascination.

-Et c’est Monsieur Adamski qui va lui ouvrir les portes de cet autre monde auquel il aspire si ardemment, déclenchant chez lui un plaisir presque charnel.Ainsi qu'un éveil sexuel comme vous le mentionniez. Mais quand cela concerne un gosse de dix ans, le traitement du sujet est plutôt casse-gueule. Vous vous y employez formidablement.

-Comment en effet le traduire en images sans mettre le spectateur mal à l’aise. Je me suis posé la question. J’ai choisi d’être pudique en restant à hauteur d’enfant pendant tout le film, avec son regard sur le monde et non le contraire.

-Vous brisez un tabou dans la mesure où c’est Johnny qui drague son instituteur chez lui. C’est osé.

-Il est dans un désir de conquête avec un sentiment de toute puissance comme j’ai pu personnellement l’éprouver. La différence entre un adulte et un enfant, c'est que le premier est responsable, pas le second. Mais il ne s’agit pas d’un discours général. Je le contextualise.

-On peut craindre un instant un glissement vers la pédophilie. Heureusement Monsieur Adamski lui oppose un non catégorique. D’une façon cruelle dans la mesure où c’est lui qui a commis l’erreur d’avoir invité le garçon en-dehors des heures de cours. A cet égard, il y a un côté piégeux à être prof aujourd’hui.

-Je confirme! J’ai parlé parlé avec le corps enseignant dans une école de mon quartier. Il y a énormément de crispation. Le climat est anxiogène. Les adultes ne peuvent être seuls avec un enfant et les classes doivent rester ouvertes.

-Un mot sur les comédiens. Ils sont tous parfaits, mais Aliocha Reinert est spécial. Une révélation, un acteur-né, dont il a la grâce, l'intensité. Où l'avez-vous déniché? 

-J’ai beaucoup prospecté. Au départ, je voulais qu’il soit de Forbach. Mais cela n’a pas été possible. J’ai étendu mes recherches jusqu’à Metz, puis Nancy. C’est là que je l’ai trouvé. Il faisait de la danse. Il était saisissant avec son physique angélique. Pour moi, il ressemble à Tadzio (Björn Andrèsen) l’adolescent androgyne à la beauté éthérée de Mort à Venise.  

-Comment l’avez-vous convaincu? C’est quand même un rôle peu banal...  

J’y suis allé progressivement. J’ai bien raconté l’histoire à ses parents qui ont décidé de le laisser choisir. Aliocha m’a demandé quelques jours de réflexion  avant de me dire qu’il était partant. Sur le tournage, c’était un vrai collaborateur. Il a compris qu’il était moi à son âge. 

 Petite nature, à l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 23 mars.

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