Dans le troisième volet de sa tétralogie sur la construction européenne, La dérive des continents (au sud) Lionel Baier poursuit son exploration décalée, commencée en 2006 avec Comme des voleurs (à l’est) et suivie en 2013 par Les Grandes Ondes (à l’ouest). Après des voyages en Pologne et au Portugal, le réalisateur vaudois nous emmène en Sicile pour une tragi-comédie politique caustique, doublée d’un drame intime et teintée de fantastique.
Nous sommes au début 2020. Fonctionnaire onusienne, Nathalie Adler (Isabelle Carré, solaire comme toujours) est en mission à Catane, pour gérer l’afflux de migrants. Ce jour-là, elle est chargée d'organiser la visite «spontanée» du président Emmanuel Macron et de la chancelière Angela Merkel, alias les "M&M's", dans un camp de réfugiés. L’idée est d'en tirer un bénéfice électoral, en montrant aux médias leur empathie pour ces laissés-pour-compte vivant dans des conditions insalubres.
Branle-bas de combat loufoque
Avant l'arrivée des dirigeants, Nathalie reçoit leurs représentants, venus en repérage. C’est la partie la plus savoureuse et drôle de l’opus, les envoyés gouvernementaux contrariés se montant plus soucieux de l’impact des images télévisées que de la situation des migrants. Pour eux les lieux sont trop propres, trop fonctionnels, trop entretenus. On ne voit pas vraiment la misère et le Sénégalais choisi parle trop bien le français (vous voulez du petit nègre ironise l’intéressé...).
Décidément, ça ne va pas. Il faut faire plus sale, plus pauvre, bref plus « conforme ». Du coup, branle-bas de combat loufoque pour changer le décor de toute urgence. C’est alors que débarque Albert (Théodore Pellerin, un jeune comédien prometteur). Fils de Nathalie, il milite dans une ONG. En pleine crise identitaire, il reproche à sa mère de l’avoir abandonné des années auparavant. Découvrant son homosexualité, Nathalie était en effet partie vivre avec une femme, qu’elle retrouve d’ailleurs également à l’occasion de l’improbable visite des deux chefs d’Etat.
Un affrontement intime symbolique
Dès lors le film dévie vers le conflit toujours non réglé entre la mère et le fils qui, sur fond de grave crise migratoire, vont tenter de se rabibocher. Cet affrontement intime, vif et parfois cruel où ils exposent leur différente vision du monde, se veut à l’évidence symbolique des dérives de l’Europe et des rapports entre les membres de la communauté.
L’idée est intéressante. Dommage pourtant que les chamailleries familiales et accessoirement les retrouvailles entre les deux ex-amantes l’emportent, voire parasitent la satire inaugurale et la dénonciation d’hypocrites leaders européens se bouchant cyniquement les yeux et les oreilles face au sort des exilés. Auxquels l’œuvre, n’évitant pas toujours le cliché et le convenu, n’accorde finalement pas toute la place qu’ils méritent.
A l'affiche mercredi 21 septembre dans les salles de Suisse romande.
Commentaires
"C’est la partie la plus savoureuse et drôle de l’opus, les envoyés gouvernementaux contrariés se montant plus soucieux de l’impact des images télévisées que de la situation des migrants."
Souvenir, souvenir... En 1986, logisticien pour UNICEF à Tombouctou, j'ai vu débarquer Saatchi&Saatchi pour faire une campagne de pub pour cette organisation. Ils ont sélectionné les plus décharnés des gens pour en recomposer une famille de pauvres, ont filmé des mares desséchées (quoi de plus normal après les pluies?) et ont donc mené une campagne la plus malhonnête possible...
Des journalistes français voulaient me filmer avec un sac de maïs USAID vendu sur le marché avec la mention "ce sac ne doit pas être vendu", sauf qu'ils étaient remis aux travailleurs dans des actions "Food for work".
Je voulais en parler à Francis Reusser (pour en faire un film sur tous les Suisses expatriés dans l'humanitaire), que j'avais croisé dans les temps passés, mais son mauvais caractère m'avait retenu...
Qu'est-ce qui vous a déplu dans mon précédent commentaire pour que vous ne le publiez pas ?