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Sorties de la Semaine - Page 77

  • Grand écran: "Rouge", un thriller politico-socio-familial engagé à portée écologique. Captivant

    Il nous avait séduit avec  Good Luck Algeria (2016) où, pour sauver leur fabrique de skis, deux amis d’enfance tentent l’improbable: qualifier l’un d’eux, Sam, aux Jeux Olympiques pour l’Algérie, le pays de son père. Après le récit de ce pari fou, une manière aussi pour le héros, de renouer avec ses racines. Farid Bentoumi propose Rouge, un  thriller politico social engagé à portée écologique, sur fond de relation père-fille virant au conflit générationnel.

    Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les deux films ne sont pas si éloignés l’un de l’autre. Si le ton est différent, on reste dans une histoire de famille chère à l’auteur, dans la  transmission d’un engagement, dans la volonté de se battre. A l’image de Nour (Zita Hanrot), une jeune infirmière qui vient d’être embauchée dans l’usine chimique où travaille Slimane (Sami Bouajila), son père, délégué syndical et cheville ouvrière de l’entreprise depuis des années. 

    Alors que celle-ci est en plein contrôle sanitaire destiné à prouver qu’elle respecte ses engagements environnementaux,  Nour commence sérieusement à se poser des questions en découvrant des dossiers médicaux trafiqués, des accidents non déclarés, tandis qu’une journaliste (Céline Sallette) enquête sur l’épineuse et dangereuse question de la gestion des déchets. Devenant la cible d’attaques violentes émanant de toutes parts.    

    Et pour cause. Les deux femmes ne tardent pas à découvrir que cette usine cache des pratiques plus que douteuses avec la complicité des élus locaux. La santé publique et la préservation de la nature ne pèsent pas lourd face aux enjeux économiques. Nour va devoir choisir entre se taire ou faire éclater la vérité et trahir ainsi son père, qui a couvert le mensonge de ses supérieurs pour sauvegarder les emplois.  

    Rouge est principalement porté par deux très bons comédiens (photo). D’un côté Sami Bouajila excellent dans ce quinquagénaire complexe, sympathique, instinctif, généreux, un peu lâche. De l’autre  Zita Hanrot, magnifique lanceuse d'alerte, fragile mais déterminée. Habités, ils donnent vraiment l’impression d’être père et fille. Ils ne jouent pas leur rôle, par ailleurs écrit spécialement pour eux, ils le vivent. 

    Dans ce film particulièrement emblématique de notre époque, traitant de sujets essentiels, comme la pollution, le chantage à l’emploi chez les politiques (vous nous dénoncez, on ferme la boîte), la difficulté d’être un délégué syndical, un lanceur d’alerte, Farid Bentoumi s’appuie sur son expérience personnelle et ses nombreuses recherches sur la gestion des déchets. Notamment par l’usine de Gardanne près de Marseille qui rejette des boues rouges toxiques dans la mer, au mépris des mises en garde des autorités sanitaires. 

    «Rouge est très documenté  mais n’est pas un documentaire. Il s'agit d'une fiction librement adaptée de faits réels avec une dimension autobiographique. Je suis issu d’un milieu populaire, fils de militants syndicalistes communistes et je m’en sers. Il y a du vécu là-dedans. Quand j’ai une base solide, cela me permet d’aller plus loin dans ce que j’ai envie de raconter», nous explique-t-il  lors d’une rencontre à Genève.

    Un mot sur vos personnages? « Ils sont représentatifs de leur génération. Slimane est un homme qui pense se battre pour ses collègues alors qu’il ne fait que ce qu’on lui dicte, comme toujours et depuis longtemps. Au contraire, Nour n’hésite pas à  chambouler. Elle ne veut pas qu’on lui mente. Surtout pas son père. Souvent il lui dit qu’elle ne comprend pas. Mais elle comprend très bien. Elle pense, avec raison qu’elle a son mot à dire dans cette affaire. D'ailleurs Slimane finira par basculer de son côté et agir.»

    En parlant, elle sait pourtant qu'elle va le trahir et en souffre. « Plus il y a d’amour, plus c’est difficile. C’est le principe de la tragédie. Nour fait exploser sa famille pour une cause juste. J'en fais une véritable héroïne, une Antigone moderne dont on a besoin aujourd’hui. Je pars du noyau familial pour évoquer quelque chose de plus grand».

    On évoque un Dark Waters  à la française pour Rouge. Qu’en pensez-vous ? « C’est un honneur. Dark Waters, mais aussi  Erin Brockovich et Promised Land m’ont en effet inspiré. Les trois partent d’un individu très humain qui écoute son instinct, ses doutes. Cela dit, la société américaine est très manichéenne. Chez moi, il n’y a pas de méchants et de gentils. Je ne donne pas tort ou raison. J’essaye de ne pas juger». 

    A l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 18 août.

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  • Grand écran: "Profession du père", avec Benoît Poelvoorde en mythomane brutal et lâche

    Lyon 1961. Pour Emile, 12 ans, son père, André Choulans, est un héros. Impressionné, il ne se lasse pas d’écouter ce surhomme qui lui raconte les chapitres mémorables d’une vie exaltante. Tour à tour il a été ténor, footballeur, parachutiste, agent secret, créateur des Compagnons de la chanson à qui il a présenté Edith Piaf, ceinture noire de judo.

    Et surtout conseiller personnel du général de Gaulle, Du moins « jusqu’à sa trahison envers l’Algérie », comme il l’assène avec colère. Et c’est ainsi que ce père mythomane, atteint de folie, sujets ä des accès de rage pour des motifs des plus futiles, va confier ä son fils, en cette année 1961, des missions dangereuses pour sauver l’Algérie qui menace de devenir indépendante. 

    Avec Ted, son ami américain fantôme, il concocte un projet d’assassinat du général où Emile tient la vedette. Un challenge de taille pour le gamin qui craint son paternel, mais rêve de l’égaler. En dépit des châtiments qu’il lui fait subir. Car pour en faire un bon espion, André Choulans n’hésite pas à le frapper violemment avec sa ceinture ou à le réveiller en pleine nuit pour l’obliger ä exécuter une série de pompes, Impuissante, la mère est dans le déni des dérives de son mari malade. Aimante, soumise et réduite à son rôle de ménagère, elle ne peut que consoler Emile quand la situation dérape.

    Profession du père, signé Jean-Pierre Améris, est adapté du terrifiant roman autobiographique et éponyme de Sorj Chalandon. «C’est aussi un peu mon histoire»,  nous confiait Le réalisateur, qui a passé son enfance ä Lyon. «Bien que non mythomane mon père était un tyran domestique qui nous terrorisait, ma mère, ma sœur et moi ». Tout en atténuant la noirceur du roman, il ne nous plonge pas moins dans l’univers oppressant de cette famille dysfonctionnelle, via la relation père-fils paradoxale entre psychose, amour, admiration et conflits.   

    Jules Lefebvre, un atout majeur

    Pour incarner cet homme détraqué, Jean-Pierre Améris a décidé, après Les émotifs anonymes et Une famille à louer, de collaborer une nouvelle fois avec Benoît Poelvoorde. Il est parfait en névrosé inquiétant, brutal, lâche et pitoyable. Un rien fantasque et loufoque également. 

    Mais dans cet opus filmé à hauteur d’enfant, l’autre atout majeur est Jules Lefebvre, découvert dans Duelles d’Oliviier Masset-Depasse. Il campe un Emile formidable, étonnant de naturel, de spontanéité, de maturité. Et on n’oubliera pas Audrey Dana, à la hauteur dans son rôle de mère désarmée, mais tentant de protéger son enfant contre les explosions démentes de son conjoint.

    A l’affiche dans les salles de Suisse romande depuis mercredi 28 juillet.  

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  • Grand écran: Billie Holiday, icône persécutée. Avec une magnifique Andra Day

    Née Eleonora Fagan à Philadelphie en 1915, Billie Holiday a eu une vie fascinante et tragique, à la fois jalonnée de rencontres musicales au sommet et marquée par la misère, le viol, l’addiction à la drogue, des maris brutaux, des relations toxiques. Et surtout par la ségrégation qui a fini par lui être aussi fatale que l’alcool.  

    Tout en évoquant la carrière et la vie privée chaotique de «Lady Day», star de tous les excès, sulfureuse croqueuse d’hommes et de femmes, Lee Daniels se focalise, dans The United States vs Billie Holiday sur ses gros démêlés avec le gouvernement américain. Jusque sur son lit de mort en 1959, la légende du jazz vocal au timbre unique a été la cible du Bureau fédéral des narcotiques (FBN), en raison de sa célèbre chanson «Strange Fruit», interprétée vingt ans auparavant au Café Society de New York. Première véritable «protest song» ce déchirant réquisitoire qui se démarque de son répertoire habituel, dénonce le lynchage des Noirs dans le Sud des Etats-Unis, fruits étranges pendus aux arbres de Géorgie et d’Alabama.

    Agent black infiltré

    Déterminé à la museler, le FBN s’acharne sur Billie et tente de la faire tomber pour consommation abusive de stupéfiants. Dans le but de la prendre en flagrant délit, il infiltre l’agent black Jimmy Fletcher, (Trevante Rhodes, héros de «Moonlight») dans son cercle intime. Mais il en tombe amoureux et se retourne contre sa hiérarchie. «Elle a réussi parce qu’elle est forte, belle … et noire, ce que vous ne pouvez pas supporter», dira-t-il à son chef Harry Ansliger (Garrett Hedlung), obsédé par la diva et son tube polémique.   

    En plein mouvement de Black Lives Matter, Lee Daniels notamment auteur de Precious et Le Majordome nous plonge dans l’ambiance enfumée et enivrante des clubs de jazz new-yorkais de l’époque dont Billie est devenue la reine, entretenant avec son public une relation fusionnelle. II brosse un portrait émouvant et sans concession de l’icône complexe, envoûtante, à la voix magique et à l’extraordinaire charisme, inéluctablement rattrapée par ses démons et la défonce.

     Incarnation magistrale d’Andra Day

    The United States vs Billie Holiday doit beaucoup, sinon presque tout à la chanteuse Andra Day, qui trouve là son premier grand rôle. Elle a dû se faire violence, perdre du poids , apprendre à fumer, à boire, à jurer, pour se glisser dans la peau de Billie à qui elle prête son corps et sa voix. Evitant l’imitation, elle livre une performance magistrale qui lui a valu le Golden Globe de la meilleure actrice.  

    Si Lee Daniels se démarque avec bonheur du biopic traditionnel, on peut toutefois lui reprocher un usage excessif de flashbacks parfois déroutants et un traitement en surface du contexte ségrégationniste dont fut victime son héroïne. Des réserves  mineures en regard de l’hommage rendu à la pionnière du mouvement actuel des droits civiques. Billie n’a cessé de se battre, de défier l’autorité malgré les menaces, en faisant résonner «Strange Fruit», sacrée chanson du siècle par Time magazine en 1999. Et pourtant. Alors que le film note en ouverture qu’une loi  anti-lynchage a été rejetée en 1937, il se termine en précisant qu’elle n’était toujours pas passée en février 2020!

    A l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 30 juin..

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