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Sorties de la Semaine - Page 73

  • Grand écran: Stefan Haupt nous livre son "Journal intime", en nous promenant dans sa ville, Zurich

    Le réalisateur Stefan Haupt aime sauter du documentaire à la fiction et vice-versa. Après l’excellent Zwingli, il s’est lancé dans Journal intime (Zurcher Tagebuch), un essai sur Zurich, sa ville, dont il a suivi l’évolution, la transformation et une forme de décadence depuis sa naissance en 1961. 

    Jouant au  guide, il fait passer le spectateur d’un quartier à l’autre, proposant une oeuvre très personnelle, sorte de méditation filmique dans laquelle il  donne la parole à ses proches,  ses amis, ses enfants, ses parents, une conseillère nationale, un journaliste. Avec eux il évoque plein de sujets, la crise financière, le prix des loyers, les manifestations de jeunes pour le climat, la grève féministe. 

    A l’occasion d’une rencontre à Genève,  Stefan Haupt nous explique quand et pourquoi il a eu la tentation de ce Journal intime. «J’en ai eu l’idée après la crise financière de 2008. Je ne comprenais rien à ce qui se passait. J’avais alors un fort sentiment de colère, mêlé d’impuissance, de fatigue  et d’inquiétude. 

    "J’ai essayé de faire des interviews, de lire des livres. Mais le but n’était pas de devenir un journaliste économique. En discutant avec des amis, ces sensations sont restées et j’ai demandé à d’autres ce qu’ils pensaient,  comment ils vivaient avec tous ces aspects de l’existence à la fois si proches et si différents. Je pose énormément de questions, mais je ne donne pas de réponses"  

    Ce Journal intime est votre appréciation d’une époque troublante, menaçante, vivante et exaltante. Mais est-ce aussi celle des Zurichois? 

    J’ai reçu beaucoup de témoignages de gens qui m’ont dit se reconnaître dans mes interrogations, mes doutes, dans la recherche d’un moyen d’arranger sa vie. 

    Vous prenez le pouls de votre ville, mais vous n’êtes pas très tendre avec elle, bien qu’on parle d’une déclaration d’amour. 

    C’est vrai, car si je l’aime, je la critique aussi. Je  lance un avertissement. Faites attention où nous allons, au prix exorbitant des loyers, au système bancaire,

    Zurich est qualifié de schizophrène dans la mesure où les gens vivent dans des mondes parallèles, sans contact avec certaines personnes.  Mais n’est-ce pas le cas de toutes les cités riches du monde ?

    Oui, mais c’est à Zurich que j’ai vu le jour. Je parle d’où je viens. Raison pour laquelle, d’une certaine façon, c’est très zurichois. Disons qu’il, s’agit d’un cas particulier qui touche à l’universel. On se sent coupable de vivre bien en Suisse et en Europe. Mais à quel point devient-on responsable ? Il est urgent de partager, de donner plus, de faire plus.. Dans notre système politique, on tente de fermer les frontières. Ça ne peut pas durer. On doit travailler ensemble.

    Vous avez décidé de montrer vos  enfants, vos parents. Pourquoi ce choix, ou ce besoin ?

    J’avais envie d’avoir leur vécu, leur voix. Il est vrai que mes parents avaient des doutes, mais comme nous avons une bonne relation et ils m’ont fait confiance. En ce qui concerne filles, c’était facile. Elles aiment le cinéma. Elles étaient déjà dans Zwingli. Mais il y a également d’autres représentants de la population. Cela m’intéressait de me promener entre gens différents. personnes.

    Au début, vous disiez avoir tourné ce documentaire parce que vous ne compreniez rien à la crise. Et maintenant ?

    Je me suis rendu compte qu’il y avait de plus en plus de choses que je ne saisissais pas! Il faut devenir humble. Le plus important, c’est le sentiment de solidarité.

    Suite à ce regard intérieur, Stefan Haupt va revenir à la fiction. Il a deux projets. L’un sur le séjour à  Leipzig, de 1749 jusqu’à sa mort l’année suivante, de Bach , son musicien préféré. Et l’autre consistera en une adaptation de Stiller de Max Frisch, l’histoire d’un homme qui pense être un autre, mais doit constater qu’il est ce qu’il est. 

    Journal intime, à l’affiche dans les salles de Suisse romande depuis mercredi 2 juin.

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  • Grand écran: avec "Petite maman", Céline Sciamma livre un conte onirique, fantastique et déroutant

    Son sublime  Portrait d’une jeune fille en feu  lui avait valu le prix du scénario et la Queer Palme à Cannes en  2019.  Céline Sciamma, cinéaste de l’enfance et de l’adolescence  (La naissance des pieuvres, Tomboy , Bande de filles), revient aux sources avec son cinquième long métrage  Petite maman, où une fillette de 8 ans devient l’amie de sa propre mère, Marion, quand elle avait son âge.

    Cette gamine, c’est Nelly. Après être passée de chambre en chambre pour dire adieu aux pensionnaires de la maison de retraite où sa grand-mère adorée vient de mourir, elle part ranger les affaires et  vider la demeure de la disparue avec son père et sa mère. Cette dernière a passé dans cet endroit chargé d’émotion et de souvenirs, les moments sans doute les plus beaux et insouciants de sa vie. Elle a aussi construit une cabane au pied d’un arbre pour s’y réfugier.  

    Nelly voudrait tellement qu’on lui raconte tout cela.  Mais sa mère, poussée par la tristesse, s’en va brusquement. L’enfant restée seule avec son père qui ne se souvient de rien, part explorer la forêt environnante, découvre la cabane et rencontre une petite fille comme elle, qui s’appelle Marion... comme sa mère et se transforme en sa petite maman. Quelques mots échangés et le courant passe immédiatement entre elles. Elles courent dans les bois, racontent et inventent des histoires et mangent des crêpes chez Marion, qui habite une maison étrangement  identique à celle de la grand-mère de Nelly. 

    Ce film épuré, intimiste, bascule alors vers le surnaturel, le rêve et l’imaginaire. Céline Sciamma,, nous perdant parfois en jouant d’allers et retours avec cette relation fille-mère inversée, nous emmène pour un voyage de 72 minutes dans le temps, sans machine ni effets spéciaux pour le remonter. Tout en évoquant avec finesse et sobriété de grands thèmes comme le deuil, la reconstruction, la transmission, elle livre un conte délicat,  réaliste, fantastique, onirique, poétique, touchant et troublant. Surfant sur le double, il est joliment porté par deux sœurs jumelles Gabrielle et Joséphine Sanz. Sans oublier Nina Meurisse, dans le rôle de Marion adulte,

    Fable à la fois ambitieuse et minimaliste, Petite maman est largement plébiscitée par les critiques français, certains voyant même Céline Sciamma à son tout meilleur. Elle n'atteint pourtant au bouleversement provoqué par Portait d’une jeune fille en feu, film fascinant et envoûtant sur le regard, les sentiments et le désir.

    A l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 2 juin

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  • Grand écran: "Réveil sur Mars", émouvant portrait de famille sur fond d'étrange énigme médicale

    Dans le village de Horndal, au centre de la Suède, Furkan Demiri et sa famille, réfugiés du Kosovo, sont confrontés à une énigme médicale qui bouleverse leur existence. Les deux aînées, Ibadeta et Djeneta ont sombré dans le coma l’une après l’autre, atteintes du “Syndrome de résignation” lorsque la demande d’asile de leurs parents a été rejetée.

    La cinéaste Dea Gjinovci s’intéresse à cette mystérieuse histoire. Abonnée au New Yorker, elle lit, en avril 2017, un reportage évoquant des enfants terrassés par ce mal singulier en apprenant qu’ils allaient être expulsés de Suède. Le texte est illustré par la photo (ci-dessus) des filles endormies de la famille interwievèe.  Dea est fascinée et bouleversée. Il faut dire que cette affaire et ses protagonistes lui parlent. Née à Genève en 1993 d’un père kosovare et d’une mère albanaise, elle connaît leur culture et les traumatismes provoqués par la guerre. Elle décide donc aussitôt de partir pour la Suède et d’y tourner son documentaire, Réveil sur Mars. 

    Le film débute  par l’image des deux adolescentes alors âgées de 17 et 16 ans, allongées côte à côte dans leur lit. Elles y restent la plupart du temps ou sont transportées dans des fauteuils roulants. Jamais elles ne sortent de leur léthargie que les médecins comparent à l’hibernation des animaux. Suspendue, la vie du père, de la mère et des deux frères cadets tourne autour d’elles. Ils leur accordent une attention constante, à laquelle s'ajoutent l’attente anxieuse de leur réveil et celle de l’obtention du précieux sésame leur garantissant l’asile.  

    Petit à petit, Dea Gjinovci  nous fait pénétrer dans leur intimité, recréant leur univers si particulier, si compliqué, à l'atmosphère pesante, plombée par l'absence.  Elle a toutefois choisi de demeurer dans l’èvocation du "Syndrome de résignation"  dont les premières victimes sont apparues début 2000 en Suède, sans se perdre dans des investigations ou des explications médicales sur ses causes et ses conséquences sociales. Elle privilégie ainsi la métaphore, l’imaginaire, saupoudrés d'un zeste de science-fiction.    

    Mais Dea nous en dit plus elle-même lors d’une rencontre à Genève,  sur ce premier long métrage. Il est né d’un amour du cinéma, découvert à 15 ans avec Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. Trois ans plus tard, à Londres, elle tente la fiction, mais sent qu’elle a besoin de davantage de matière pour s’exprimer. Elle fait alors un détour par l’économie, les sciences politiques et l’anthropologie dans le but de  mieux comprendre le monde, puis trouve un entre-deux parfait en se lançant dans le documentaire. Après Sans le Kosovo, un court sur son père exilé en Suisse en 1972. « Réveil sur Mars », émouvant portrait de famille, reflète  également  son besoin humaniste d’être à l’écoute des autres. 

    Comment êtes-vous entrée en contact avec les Demiri ?

    J’ai appelé la médecin qui s’en occupait. Elle n’était pas très encline à m’accepter jusqu’à ce que je lui montre mon court métrage, qui l’a touchée. De mon côté, je devais trouver une bonne manière de communiquer avec eux. Mais comme je parle albanais, très vite il y a eu une véritable connexion et j’ai senti une grande confiance de leur part. Je les ai vus en juillet 2017 pour les premiers repérages et je les ai suivis pendant des semaines, en retournant plusieurs fois en Suède jusqu’en octobre 2019.

    Vous donnez beaucoup d’importance à  Furkan, le petit frère de 10 ans, qui  s’est donné pour mission de construire une fusée devant emmener Ibadeta et Djeneta sur Mars, loin de leurs souffrances. D’où le titre du film. 

    En effet. Triste, déprimé, il représentait de façon intériorisée le vécu de ses sœurs. En même temps, il apporte de l’espoir. C’est en le rencontrant que j’ai développé cette idée de Mars car il voulait devenir astronaute. En récupérant des pièces détachées dans un cimetière de voitures pour réaliser son rêve, c’était pour lui une manière de s’échapper, d’oublier la situation.

    Si le film se termine par la photo de ses héroïnes sorties de leur apathie,  Dea Gjinovci n’a pas assisté à leur réveil à six mois d’intervalle, après cinq ans de coma pour l’une et trois pour l’autre.  Mais elle est retournée en Suède début 2020. «Ibadeta m’a reconnue à ma voix. Je lui ai montré un élément, le décollement de la fusée... »

    La réussite de Réveil sur Mars laisse bien augurer du prochain. Toujours passionnée par la thématique de l’exil, la réalisatrice projette une suite à Sans le Kosovo et tournera dans le village natal de son père en mettant en scène ses souvenirs. 

    A l’affiche dans les salles de Suisse romande depuis mercredi 26 mai.

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