Grand écran: "La fracture" raconte une France divisée à travers deux femmes au bord de la rupture (25/10/2021)

Immersion., un soir de décembre 2018, dans les urgences d'un hôpital parisien à bout de souffle, en manque de soignants, transformé en huis-clos genre cour des miracles le temps d’une nuit explosive. Après Un amour impossible, métrage d’époque, Catherine Corsini, désireuse de revenir à aujourd’hui, aborde de façon métaphorique les fractures profondes d’une société française de plus en plus dure et meurtrie.

Elles sont symbolisées par le couple au bord de la rupture que forment Julie (Marina Foïs), éditrice, et Raf (Valeria Bruni-Tedeschi), dessinatrice. Une embrouille de trop et Julie, qui en a plus que marre, quitte l’appartement. Raf la suit, tombe, se casse le bras et atterrit dans un service hospitalier sous pression.

Débarquement de Gilets jaunes amochés

A l’extérieur, c’est la guerre et l’établissement, déjà saturé par les blessés, voit débarquer une bande de Gilets jaunes gravement amochés par des policiers lors d’une violente manifestation sur les Champs Elysées. Il ferme ses portes tandis que les CRS campent devant, exigeant qu’on leur livre les noms des coupables.

Dans la salle d’attente, arène pleine d’humanité, de désespoir et d'émotion où s'écharpent petits bourgeois et prolos de toutes nationalités, l’ambiance est électrique. La confrontation France d’en-haut contre France d’en-bas vire au duel mordant entre Julie, la  bobo  parisienne au coude bien esquinté et un routier naïf (Pio Marmaï) à la jambe explosée par une grenade de désencerclement, qui veut juste conduire son camion, livrer sa marchandise et éventuellement, comme il l’avait dit à la conférence de presse, péter la gueule à Macron. Phrase qui avait provoqué un petit scandale (vite oublié) sur la Croisette.

Entre hystérie et justesse du récit

Bref, les critiques acerbes et les injures fusent. Ils s’engueulent pour tout et n’importe quoi et ça vole bas, le plus souvent. Mais les excès n’empêchent pas l’humour et le rire, en l’occurrence cathartique. Entre scènes dramatiques, douloureuses, drôles, voire burlesques, à l’écriture riche, on reprochera toutefois une tendance à l’hystérie. Elle est accentuée par la performance délirante de Valeria Bruni-Tedeschi. Certes, comme toujours, elle met beaucoup d’elle-même dans chacun de ses rôles, des choses qu’elle a vécues, rêvées, imaginés. Mais là, survoltée et shootée aux médicaments, elle en fait des tonnes en luttant pour récupérer l’objet de son amour.

En revanche, on salue la volonté d’apporter de la justesse et de l’authenticité dans ce récit sous haute tension tourné pendant la Covid, qui évoque la crise des Gilets jaunes, les brutalités policières, l’abandon de l’hôpital public, l’engagement inouï d’un personnel pourtant sous-payé, exténué, le délabrement des locaux. Non seulement Catherine Corsini s’inspire de sa propre histoire avec sa compagne ainsi que d’une mésaventure, mais elle a fait appel à de vrais soignants. Comme Aïssatou Diallo Sagna. Elle a 38 ans, incarne Kim, une infirmière qui apporte, comme les autres acteurs et actrices non professionnel-les, son expérience, sa maîtrise et son empathie envers les patients.

"Il ne s’agit ni d’un brûlot ni d’un manifeste"

La fracture est un film engagé, un film de résistance. "Il faut parler de tout cela pour ne pas laisser à nos enfants un monde pourri". Pour autant Catherine Corsini nie une volonté d’interpeler les autorités politiques. "Je l’ai fait pour raconter une histoire avec un fond humaniste et en jouant des ressorts de la comédie. Il ne s’agit ni d’un brûlot, ni d’un manifeste". Le film résonnant par ailleurs avec le théâtre, Catherine Corsini avoue qu’elle craignait la chose. "Je voulais que ce soit brisé par une manière de filmer qui crée le mouvement. Je souhaitais que les comédiens puissent improviser, que tout le monde parvienne à s’échappe". 

L’opus, qui figurait en compétition au Festival de Cannes, a décroché, rappelons-le, la Queer Palm. Cela peut surprendre dans la mesure où  l’homosexualité est particulièrement banalisée. Mais en fait, c'est logique.. "Ce qui me tenait à cœur, a déclaré la lauréate très émue en recevant son prix, c’était de raconter un couple de femmes d’une cinquantaine d’années qui a vécu le fait de s’assumer. Il est juste de dire que l’homosexualité est un sujet et en même temps qu’il n’en est pas un, car il est intégré, déjouant les préjugés. C’est merveilleux d’être récompensée pour cela". 

A l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 27 octobre.  

16:11 | Lien permanent