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Sorties de la Semaine - Page 72

  • Grand écran: "La fracture" raconte une France divisée à travers deux femmes au bord de la rupture

    Immersion., un soir de décembre 2018, dans les urgences d'un hôpital parisien à bout de souffle, en manque de soignants, transformé en huis-clos genre cour des miracles le temps d’une nuit explosive. Après Un amour impossible, métrage d’époque, Catherine Corsini, désireuse de revenir à aujourd’hui, aborde de façon métaphorique les fractures profondes d’une société française de plus en plus dure et meurtrie.

    Elles sont symbolisées par le couple au bord de la rupture que forment Julie (Marina Foïs), éditrice, et Raf (Valeria Bruni-Tedeschi), dessinatrice. Une embrouille de trop et Julie, qui en a plus que marre, quitte l’appartement. Raf la suit, tombe, se casse le bras et atterrit dans un service hospitalier sous pression.

    Débarquement de Gilets jaunes amochés

    A l’extérieur, c’est la guerre et l’établissement, déjà saturé par les blessés, voit débarquer une bande de Gilets jaunes gravement amochés par des policiers lors d’une violente manifestation sur les Champs Elysées. Il ferme ses portes tandis que les CRS campent devant, exigeant qu’on leur livre les noms des coupables.

    Dans la salle d’attente, arène pleine d’humanité, de désespoir et d'émotion où s'écharpent petits bourgeois et prolos de toutes nationalités, l’ambiance est électrique. La confrontation France d’en-haut contre France d’en-bas vire au duel mordant entre Julie, la  bobo  parisienne au coude bien esquinté et un routier naïf (Pio Marmaï) à la jambe explosée par une grenade de désencerclement, qui veut juste conduire son camion, livrer sa marchandise et éventuellement, comme il l’avait dit à la conférence de presse, péter la gueule à Macron. Phrase qui avait provoqué un petit scandale (vite oublié) sur la Croisette.

    Entre hystérie et justesse du récit

    Bref, les critiques acerbes et les injures fusent. Ils s’engueulent pour tout et n’importe quoi et ça vole bas, le plus souvent. Mais les excès n’empêchent pas l’humour et le rire, en l’occurrence cathartique. Entre scènes dramatiques, douloureuses, drôles, voire burlesques, à l’écriture riche, on reprochera toutefois une tendance à l’hystérie. Elle est accentuée par la performance délirante de Valeria Bruni-Tedeschi. Certes, comme toujours, elle met beaucoup d’elle-même dans chacun de ses rôles, des choses qu’elle a vécues, rêvées, imaginés. Mais là, survoltée et shootée aux médicaments, elle en fait des tonnes en luttant pour récupérer l’objet de son amour.

    En revanche, on salue la volonté d’apporter de la justesse et de l’authenticité dans ce récit sous haute tension tourné pendant la Covid, qui évoque la crise des Gilets jaunes, les brutalités policières, l’abandon de l’hôpital public, l’engagement inouï d’un personnel pourtant sous-payé, exténué, le délabrement des locaux. Non seulement Catherine Corsini s’inspire de sa propre histoire avec sa compagne ainsi que d’une mésaventure, mais elle a fait appel à de vrais soignants. Comme Aïssatou Diallo Sagna. Elle a 38 ans, incarne Kim, une infirmière qui apporte, comme les autres acteurs et actrices non professionnel-les, son expérience, sa maîtrise et son empathie envers les patients.

    "Il ne s’agit ni d’un brûlot ni d’un manifeste"

    La fracture est un film engagé, un film de résistance. "Il faut parler de tout cela pour ne pas laisser à nos enfants un monde pourri". Pour autant Catherine Corsini nie une volonté d’interpeler les autorités politiques. "Je l’ai fait pour raconter une histoire avec un fond humaniste et en jouant des ressorts de la comédie. Il ne s’agit ni d’un brûlot, ni d’un manifeste". Le film résonnant par ailleurs avec le théâtre, Catherine Corsini avoue qu’elle craignait la chose. "Je voulais que ce soit brisé par une manière de filmer qui crée le mouvement. Je souhaitais que les comédiens puissent improviser, que tout le monde parvienne à s’échappe". 

    L’opus, qui figurait en compétition au Festival de Cannes, a décroché, rappelons-le, la Queer Palm. Cela peut surprendre dans la mesure où  l’homosexualité est particulièrement banalisée. Mais en fait, c'est logique.. "Ce qui me tenait à cœur, a déclaré la lauréate très émue en recevant son prix, c’était de raconter un couple de femmes d’une cinquantaine d’années qui a vécu le fait de s’assumer. Il est juste de dire que l’homosexualité est un sujet et en même temps qu’il n’en est pas un, car il est intégré, déjouant les préjugés. C’est merveilleux d’être récompensée pour cela". 

    A l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 27 octobre.  

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  • Grand écran: "Ghosts", portrait dur et complexe de la Turquie contemporaine

    Octobre 2020. Istanbul est constamment survolée par des hélicoptères, quadrillée par des patrouilles, tandis que les sirènes des ambulances ne cessent de retentir. Dans cette ville en proie à des troubles politiques, quatre personnages et leur destin respectif s'entremêlent, notamment autour d’un  trafic de drogue, dans un quartier populaire en pleine gentrification..

    Une mère dont le fils est incarcéré dans une prison surpeuplée  pour un film qu’il n’aurait pas commis, cherche de lui procurer de l'argent pour lui éviter un grave danger. Une jeune femme, qui veut devenir danseuse, survit au milieu de ses contemporains à l’avant-garde des mouvements de protestation contre le gouvernement. Elle croise une artiste activiste et un garçon qui nettoie les déchets après les affrontements entre la police et les manifestants. .Pendant ce temps, un homme veut  faire fortune en profitant de la réhabilitation des quartiers historiques de la ville, mais également en logeant des réfugiés syriens à des prix exorbitants. 

    Ghosts,, récit allégorique et dystopique, est le premier long métrage d'Azra Deniz Okyay. S'affirmant comme la cheffe de file  des nouveaux cinéastes turcs,  elle propose un portrait à charge, puissant et complexe (il faut 'accrocher...) de la Turquie contemporaine, ainsi qu’une ode à ses fantômes.  Structuré à la manière d’un puzzle dans une atmosphère de révolte, il dépeint un monde souterrain et obscur dans lequel gravitent des individus issus de différentes sous-cultures, entre absence de valeurs et de repères.

    C’est l’histoire d’une génération perdue affrontant les incertitudes religieuses, politiques et économiques, où chacun tente de se réaliser à travers l’art, en créant son propre mécanisme de survie dans une Turquie chaotique  Ils se réunissent de façon inattendue à travers certains événements et diverses actions., 

    En dépit de sa noirceur, l’opus en forme de thriller montre des êtres porteurs de lumière et d’espoir. Comme dit la réalisatrice, "vivre dans ce pays, c’est comme si nous existions et n’existions pas en même temps. Mes personnages font face à des luttes plus grandes qu’eux-mêmes, leurs expériences touchant  à des problèmes plus globaux, la liberté d’expression et le droit des femmes. Parfois ils se sentent invisibles et doivent agir de façon invisible.  Ghosts parle à un public à travers des jeunes qui apportent par exemple à la fin  la lumière dans un concert LGBT.  Les jeunes trouvent toujours un  moyen. ..." 

    A l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 27 octobre. Séance spéciale ce lundi soir au Cinélux à 20 heures en présence de l'auteur

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  • Grand écran: "Illusions perdues", fresque passionnante, spirituelle et moderne, au casting dix étoiles

    Ce film, Xavier Giannoli le portait en lui depuis ses 20 ans. Il est basé sur les Illusions perdues, le chef d’œuvre d’Honoré de Balzac publié entre 1837 et 1843,  dont il adapte librement la seconde partie, Un grand homme de province à Paris. Celui de la Restauration. Saisissant et redoutable reflet de notre époque, l’oeuvre, avec ses jeux de pouvoirs entre républicains et monarchistes à l’heure du libéralisme économique naissant et du règne du profit montre, s’il en était encore besoin, son intemporalité et son universalité.

    Auteur de Quand J’étais chanteur, A l’origine, Marguerite, Xavier Giannoli relève un immense défi, proposant un passionnant métrage romanesque et critique sur l’ascension et la chute de Lucien Chardon (Benjamin Voisin). Jeune poète inconnu et naïf à l’ambition dévorante, il veut se forger un destin et obtenir le droit de porter le nom à particule de sa mère «de Rubempré», pour faire oublier le sien .

    Tout s’achète et se vend

    Quittant l’imprimerie familiale et Angoulème, sa ville natale, il monte à Paris avec sa protectrice Louise de Bargeton (Cécile de France). Il va alors découvrir un univers vertigineux, trépidant, flamboyant, fourmillant de faux-semblants où l’argent est roi, où tout s’achète et se vend, la littérature la presse, la politique la réputation et l’amour.  

    Paraître est un must pour exister dans ce monde où le journalisme constitue un échelon vers la réussite. Débarqué dans la capitale dans le but de voir publié un recueil de poésie dédié à Louise (qui abandonnera vite le jeune provincial ignorant des codes et conventions de la bonne société), Lucien entre dans le sérail médiatique grâce à Etienne Lousteau (Vincent Lacoste). 

    L’opinion, une marchandise comme une autre

    Rédacteur à la plume féroce, Lousteau lui explique sa conception et sa pratique d’une profession où l’opinion devient une marchandise comme une autre. Créations de polémiques ou d’événements, articles achetés pour encenser ou descendre un livre, favoriser le directeur de théâtre le plus offrant qui paie lui une claque pour applaudir ou huer un spectacle. On retiendra plus particulièrement un irrésistible morceau de bravoure sur le bon exercice d’une critique aux effets salvateurs ou dévastateurs. D’où une peinture à l’acide d’un milieu corrompu et cupide au service de ceux qui le financent. 

    Aux dialogues ciselés, décapants, mordants, s’ajoutent une densité narrative, une mise en scène brillante, fluide et en mouvement, musicalement rythmée par Bach et Rameau, une reconstitution historique minutieuse. L’ensemble  sublime cette fresque foisonnante, spirituelle et moderne, qui brosse un portrait satirique implacable de la vie mondaine, de la presse et des arts en ce début de 19e siècle. Elle se combine avec le triste sort de Lucien que vont perdre sa soif démesurée d’élévation sociale, sa faiblesse coupable à manger à tous les râteliers, son obsession à se faire un nom dans un microcosme qu'il ne peut atteindre. 

    Des comédiens remarquables

    Les comédiens contribuent évidemment énormément à la grande réussite de l’opus. A commencer par Benjamin Voisin, omniprésent, qui avait déjà beaucoup séduit dans Été 85 de François Ozon. Il n’incarne pas, il est Lucien, ingénu arriviste dont la naïveté, le romantisme et l’humanité cèdent devant le cynisme et l’arrogance et la lâcheté. On craque également pour Vincent Lacoste, esprit vif, mentor un rien diabolique, exaspérant et drôle. Fragile et influençable, Cécile de France s’oppose à Jeanne Balibar, marquise machiavélique, perfide et manipulatrice.

    Et on n’oubliera  pas Xavier Dolan sobre et élégant dans un personnage fictif, l’écrivain Nathan, narrateur et conscience de Lucien, Gérard Depardieu, truculent et très inspiré éditeur illettré près de ses sous, Jean-François Stévenin, en chef de claques sans foi ni loi, l’un de ses derniers rôles. Ou enfin Salomé Dewaels, courtisane  et comédienne, le vrai amour de Lucien, mais dont le pari risqué du théâtre classique précipitera la mort. A voir absolument.  

    A l’affiche dans les salles de Suisse romande depuis  mercredi 20 octobre.

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