Après Lynne Ramsey et Julia Leigh, une autre réalisatrice en compétition nous balance un sacré uppercut. C’est la Française Maïwenn avec Polisse, qu’a co-écrit Emanuelle Bercot. Juste en passant, ce titre à l’orthographe un poil bizarroïde s’explique dans la mesure où la réalisatrice ne pouvait l’énoncer correctement car il était déjà pris par Pialat. Elle donc eu l’idée de l’erreur en voyant son fils plancher sur un exercice d’écriture.
Maïwenn a imaginé son troisième long-métrage après Le bal des actrices et Pardonnez-moi en voyant un documentaire sur le sujet à la télévision. Caméra à l’épaule, elle nous immerge ainsi brutalement dans le travail des flics de la BPM (Brigade de protection des mineurs) avec son lot terrible de gardes à vue de pédophiles, de dépositions d’enfants abusés, d’interrogatoires de parents maltraitants, de dérives de la sexualité chez les ados. Le tout sur fond de relations fusionnelles entre les protagonistes.
Comment parviennent-ils à trouver l’équilibre entre leur vie privée et le quotidien glauque auquel ils ne cessent d’être confrontés? C’est ce que nous raconte Maïwenn dans cette œuvre d’une énergie et d’une force incroyables. Aussi parfaite dans sa direction des adultes que dans celle des enfants, elle se tient au plus près d’une réalité dans laquelle elle s’est plongée pendant des mois. Pour découvrir des gens passionnés, dont le boulot est la vie.
Ses acteurs se sont également immergés dans cet univers en suivant un stage d’une semaine avec deux pros qui leur ont appris le métier. Huit heures par jour, ils n’ont parlé que de police du petit-déjeuner au dîner, pour devenir un groupe quasi familial, soudé, solidaire et crédible. Le côté vrai obsédait à un point Maïwenn que deux policiers ont assisté à tout le tournage, pour éventuellement rectifier le tir quand la situation ne leur paraissait pas plausible.
Question inévitable lors de la conférence de presse, le film a-t-il changé votre regard sur la police? Plus particulièrement adressée à Joeystarr, toujours aussi agité et que l’exercice ennuie copieusement. «Je ne sais pas quoi dire. Quand on me propose une bonne histoire, que je sois flic ou travesti, ça m’intéresse.» Point barre en somme.
Karine Viard se montre plus communicative « Je ne connaissais que ceux qui t’emmerdent toute la journée ou qui commettent des abus de pouvoir. Là, on a rencontré des gens dévoués, intelligents, qui à mon avis n’ont pas choisi ce métier par hasard. Alors oui, mon regard a changé ». Tout comme celui se ses camarades de jeu qui voyaient la vie différemment en entrant chez eux.
Pour autant, Maïwenn n’a pas de message à délivrer. « L’impact, ce n’est pas mon problème. Ca prend où ça ne prend pas, on verra» Pas de souci, ça prendra. Polisse est un grand film.
Le pape fugueur de Nanni Moretti
Toujours en concours, je ne suis pas aussi emballée par Habemus Papam de Nanni Moretti, habitué de la Croisette et Palme d’Or avec La chambre du fils en 2001. Là il nous offre sa vision personnelle du Vatican, du pape et des cardinaux, en imaginant un drôle de pontife qui n’a évidemment rien à voir avec l’actuel. Une comédie dont l’extravagance se situe pourtant en deça de ce qu’on attendait.
Alors qu’il vient d’être élu, Melville s’estime indigne de sa charge. Et n’arrive pas à se présenter au balcon pour saluer la marée de fidèles qui se presse sur la place Saint-Pierre. Poussant un immense cri d’angoisse, il affole le conclave, qui fait alors appel à un psy athée pour résoudre ce problème aussi épineux que totalement inédit.
Mais le nouveau pape prend soudain la poudre d’escampette et se promène seul dans les rues de Rome, à la rencontre de choses et de gens qui lui étaient devenus étrangers. Pendant ce temps, le psy est retenu prisonnier au Vatican et finit par enseigner l’art du volley-ball aux cardinaux, qui trouvent un plaisir enfantin à se livrer au jeu.
Loin des sulfureux scandales pédophiles et financiers de l’an dernier, Nanni Moretti, refusant de se laisser influencer par une actualité qu’il juge de surcroît aujourd’hui un peu évanouie, veut ainsi confronter ces deux réalités. Forçant son héros et le public à se poser des questions auxquelles il n’apporte pas de réponses.
Pour incarner ce pape fugueur, le cinéaste a fait appel à Michel Piccoli. Qui n’a pas hésité un instant à accepter. «En revanche, Nanni m’a demandé de faire un essai», déclare le comédien pour qui on parle déjà, même si la concurrence sera rude, d'un prix d'interprétation. «Il est venu à Paris avec la robe papale et c’est seulement quelques jours plus tard qu’il m’a dit oui. C'est un peu orgueilleux mais j’avoue que c’était un rôle facile. Et si j’étais honnête, je dirais que pour moi c’est fini. Terminer ma carrière avec Moretti, c’est parfait.» On espère que non. Il nous manquerait.
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Festival de Cannes: à son tour, Maïwenn nous balance un uppercut
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Festival de Cannes: deux réalisatrices provoquent des électrochocs
Le président Robert de Niro a beau s’imaginer un peu en vacances, il va devoir plancher ferme avec ses jurés si les prétendants à la Palme d’Or suivent, et il y a toutes les raisons de le penser, le rythme imprimé dès le début de la compétition.
Deux réalisatrices ont en effet mis la barre très haut. A commencer par l’Ecossaise Lynne Ramsey, avec We Need To Talk About Kevin. Adapté du roman de l’Américaine Lionel Shriver, cette œuvre coup de poing raconte l’histoire d’Eva et Franklin qui ont mis au monde un gamin odieux et terriblement difficile. Petit, ses hurlements sont si intolérables qu’Eva s’arrête avec la poussette près d’un marteau piqueur pour ne plus les entendre.
De plus en plus méchant au fur et à mesure qu’il grandit, il ne cesse de provoquer sa mère, saccageant systématiquement ce qu’elle propose ou entreprend. De son côté, tout en se consacrant à lui corps et âme, Eva éprouve des sentiments ambigus et a l’impression qu’il a gâché sa vie.
Lynne Ramsey montre avec talent l’aversion qui augmente entre ces deux personnages, tandis que largué, le père ne voit rien, ne comprend rien. Il est complètement manipulé par cet enfant qui mène une vraie guerre contre sa mère. Il finira d’ailleurs par la respecter davantage à la fin.
Tout en explorant une situation de plus en plus conflictuelle, la cinéaste se focalise sur la culpabilité parentale, à laquelle Eva est confrontée lorsqu’à 16 ans, Kevin commettra l’irréparable dans un lycée façon Columbine. Rappelant ainsi Elephant qui avait valu la Palme d’Or à Gus Van Sant en 2003.
Au-delà du malaise et des émotions qu’il suscite, ce voyage cauchemardesque évoque ainsi le combat d’une femme pour tenter de comprendre les fautes commises, d’expliquer la tragédie en revivant des moments clés. Des retours sur le passé prétextes à un montage chahuté et éclaté qui constitue un véritable défi de structure.
Grand film, We Need To talk About Kevin est évidemment formidablement interprété. Tilda Swinton fascine et impressionne dans le rôle d’Eva, tandis que le jeune Ezra Miller aussi beau que brillant interprète le sien avec une rare aisance. « C’est horrible à dire mais je me sens lié à Kevin. La réalité que nous vivons nous amène à connaitre le bien et le mal qui est en nous. J’aurais pu être lui.»
Beautés endormies pour vieux messieurs
Jeune étudiante, Lucy a besoin d’argent et multiplie les petits boulots, dont de désagréables expériences de médecine. Apparemment totalement décomplexée et dépourvue de sentiments, elle répond à une petite annonce et intègre un réseau de beautés endormies, livrées au désir d’hommes âgés, interdits pourtant de pénétration.
Plongée dans le sommeil grâce à une mystérieuse potion, Lucy se réveille comme si rien ne lui était arrivé. Elle ne voit pas les vieux messieurs qui viennent la retrouver dans son lit et ne se souvient pas de ce qu’ils lui ont fait.
Ce conte de fées érotique est signé de la romancière australienne Julia Leigh, qui livre un premier film étrange, singulier et dérangeant à la mise en scène cliniquement raffinée.
Personnage sans limite Lucy se trouve dans une forme radicale de soumission qu’elle a choisie. D’allure physiquement innocente, la peau diaphane, elle n’est pas une victime. Il y a de la perversion dans sa manière de s’abandonner à ceux qui la contrôlent. Elle se met elle-même en danger en perturbant des conventions qu’elle rejette.
On suppose qu’il s’agit là d’un rôle difficile, l’héroïne étant nue la plupart du temps dans Sleeping Beauty. Ce n’est pas le cas pour l’excellente Emily Browning. «Ces scènes n’ont pas autant d’impact sur moi qu’on pourrait le penser. La nudité n’est pas un problème pour moi et je savais que Julia n’allait pas faire des choses de mauvais goût. Alors j’en profitais pour méditer… »
Gus Van Sant déçoit
Un mot encore sur Restless de Gus Van Sant, dont on attendait beaucoup. Malheureusement, il ne tient pas ses promesses et on comprend la raison de sa présence dans Un certain regard plutôt qu’en compétition. En phase terminale d’un cancer, la jolie Annabel Cotton n’en est pas moins animé d’un farouche appétit de vivre.
Lors d’un enterrement, elle rencontre Enoch Brae, au contraire mû par un instinct de mort depuis celle, tragique, de ses parents dans un accident. Séduit par le courage exemplaire de la jeune femme, il l’aidera à vivre intensément ses derniers jours. Voilà qui rappelle singulièrement, par certains côtés, un certain Love Story qui fit pleurer la planète entière en 1970. Même si le réalisateur déçoit, on lui souhaite le même sort.
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Festival de Cannes: Woody aime Paris et on aime Allen
Comme prévu, Woody Allen a rameuté la grande foule sur la Croisette en ouvrant le festival. Mais au moins ne se sera-t-on pas fait écraser les orteils pour rien. Ce qu’on eût pu craindre avec les mystères et les rumeurs autour de l’œuvre depuis le premier tour de manivelle, la nouvelle de la participation de Carla Bruni, de son retrait du générique, de sa présence puis de son absence à Cannes.
Mais on oublie tout ça en découvrant Minuit à Paris le dernier-né très réussi du plus célèbre des New-Yorkais. Un début façon carte postale inquiète un brin, mais c’est pour mieux nous surprendre et nous séduire en offrant à la Ville-lumière, une déclaration d’amour teintée d’admiration, de respect et de dérision. Voilà qui donne une comédie irrésistible, subtile et très enlevée que les spectateurs du monde entier découvrent en même temps, selon les désirs du maestro, que les festivaliers.
En voyage pré-nuptial dans la Ville-lumière avec sa pimbêche de fiancée, Gil Pender, scénariste américain à succès, rêve d’une autre vie. Et veut écrire un roman dans la lignée des idoles de sa jeunesse. C’est ainsi que se mettent à resurgir de prestigieux fantômes des années vingt, pour lui l’âge d’or.
Un voyage dans le temps
Woody Allen nous emmène alors dans un va et vient entre deux époques. Le présent où on croise l’espace de trois plans Carla Bruni en guide du musée Rodin et ce passé fantasmatique qui fait rêver Gil. Et dans lequel ce poète idéaliste et nostalgique plonge chaque soir avec délices dès les douze coups de minuit.
Il y rencontre Hemingway, plaisante avec Scott et Zelda Fitzgerald, montre son manuscrit à Gertrude Stein, s’amuse des pitreries de Dali, séduit la muse de Picasso, suggère une idée de film à Bunuel et écoute la musique de Cole Porter. Autant de personnages dont Woody Allen brosse de savoureux portraits, écrivant pour eux des dialogues non pas profonds, mais humoristiques et légers.
Cette vision subjective d’un Paris que le cinéaste adore par tous les temps, surtout quand il pleut, est soutenue par d’excellents comédiens, à commencer par Owen Wilson en Californien cool et relax, tout le contrôle d’un intello de la Côte Est et la belle Rachel McAdams, parfaite en redoutable peste. A leurs côtés, Marion Cotillard joue les ensorceleuse, Adrien Brody se révèle plus surréaliste que Dali et Michael Sheen pédant à souhait.
Une pointe de morale
Enveloppé de couleurs chaudes, Minuit à Paris est empreint d’insouciance, de romantisme, d’un zeste de gravité et d’une pointe de morale. «Croire que c’était mieux avant est un leurre», déclarait le cinéaste à la conférence de presse. Le passé a l’air séduisant quand vous y pensez, mais vous n’en retenez que les bonnes choses. Alors qu’il n’y avait pas ni novocaïne, ni air conditionné…»
Lors des nombreuses questions sur sa manière d‘écrire, de voir, de diriger, de choisir ses acteurs, est évidemment venue sur le tapis celle qui brûlait toutes les lèvres: Pourquoi Carla Bruni? «A l’occasion d’un petit-déjeuner avec Nicolas Sarkozy, elle a traversé la pièce. Je l’ai trouvée belle, charismatique et je lui ai demandé si elle voulait jouer dans mon film. En ajoutant que cela ne lui prendrait pas trop de temps. Elle m’a répondu oui et que ça lui plairait de le raconter plus tard à ses petits-enfants.»
Woody Allen la juge bonne actrice, très naturelle. «C’est normal, ce n’est pas une avocate. Elle vient du showbiz et a tenu avec grâce un rôle qui l’a beaucoup amusée».