Alors qu’il reste une demi-douzaine de candidats en lice pour la Palme d’or je n’ai pas encore éprouvé de véritable coup de cœur. En revanche j’ai de grandes préférences. A l’image d’Anatomie d’une chute (photo) de la Française Justine Triet, qui a justement provoqué l’émoi sur la Croisette.
Dans ce film à procès mais pas seulement, la réalisatrice brosse le portrait d’une écrivaine que tout accuse de la mort de son mari. Mais ne s’agirait-il pas d’un accident, ou d’un suicide ? La réalisatrice multiplie les pistes pour semer le doute chez les spectateurs qu’elle met dans la peau des jurés.
C’est brillant et formidablement interprété par la comédienne allemande Sandra Hüller, qui pourrait bien décrocher le prix d’interprétation. D’autant qu’on la retrouve dans The Zone Of Interest de Jonathan Glazer, un autre favori.
Filmer l'horreur sans la montrer
Dans son adaptation du roman de Martin Amis, le Britannique filme l’horreur de la Shoah sans la montrer. Ce n’en est que plus effroyable. Pour mieux immerger le spectateur , le film débute en privilégiant l’ouïe à la vue avant de suivre le quotidien de Rudolf Höss un commandant d’Auschwitz et de sa famille, dont la jolie maison aux jardins fleuris est mitoyenne du camp.
La vie est idyllique On joue dans la piscine, on pique-nique, au bord de la rivière. Volontairement ignorante des horreurs qui se passent à sa porte, Madame essaie un manteau de fourrure en faisant la moue, trie des vêtements et s’amuse de la découverte d'un objet « ingénieusement » dissimulé dans un tube de dentifrice Tandis que de l’autre côté du mur des milliers de Juifs meurent dans d’atroces souffrances. Absolument glaçant.
Dix ans après Winter Sleep, qui lui avait valu la Palme d’or, le Turc Nuri Bilge Ceylan revient avec Les herbes sèches. Une œuvre très (trop) longue, qui nous emballe pourtant et qui nous emmène une nouvelle fois en Anatolie dans un village isolé recouvert de neige. On y rencontre Samet, professeur de dessin qui rentre de vacances en espérant sa mutation à Istanbul.
Malheureusement, il est confronté à une accusation de comportement inapproprié envers une collégienne, de même qu’un collègue qui est aussi son colocataire. L’affaire donne lieu à une enquête qui retarde son éventuel départ. Pour autant cette dénonciation ne sera pas prétexte à la réalisation d’un film policier, mais permettra à Nuri Bilge Caylan de mieux cerner le mal-être et la mélancolie de Samet, à qui le talentueux Deniz Celiloglu prête son visage.
Infatigable cinéaste italien
Candidat également sérieux à la récompense suprême. Marco Bellochio qui se penche encore une fois sur l’histoire tourmentée de son pays. Avec L’enlèvement, il propose un drame historique lyrique et puissant, situé en 1858 et qui se déroule dans le quartier juif de Bologne.
Les soldats du pape débarquent chez la famille Mortara pour enlever leur fils de 7 ans Edgardo, sous prétexte qu’il a été baptisé en secret et qu’il doit recevoir une éducation catholique. Ravagés, ses parents tentent l’impossible pour le récupérer. Religion, pouvoir, résistance, mensonge, injustice, autant de thèmes abordés avec maestria par l’infatigable cinéaste italien
A retenir également Les feuilles mortes du Finlandais Aki Kaurismaki qui sait comme personne tout nous raconter sur l’amour, la solitude, la société, le travail, le monde extérieur, en moins d’une heure et demie. Un véritable record à Cannes, surtout cette année.
Palmé d’or comme Nuri Bilge Ceylan, le Japonais Hirozaku Kore-eda ne convainc en revanche pas autant que d’habitude avec Monster. S’il filme toujours admirablement l’enfance, il nous perd en route avec une intrigue inutilement tarabiscotée autour d’une affaire de harcèlement scolaire, vu de trois angles différents.
Todd Haynes, dont on attendait beaucoup, après son incomparable Carol de 2015, déçoit lui aussi avec May December. Pour son retour, il propose un drame romantique où il dirige Natalie Portman et Julianne Moore, la première convainquant la seconde de, star déchue, de la rencontrer pour mieux l’interpréter sur grand écran. Une réflexion un peu chichiteuse sur le jeu de miroir entre la comédienne et son rôle.
Sean Penn et son cure-dents
Plus ou moins en queue de peloton, on citera Black Flies, du Français Jean-Stéphane Sauvaire, qui nous plombe avec une série d’interventions d’ambulanciers, toutes sirènes hurlantes. Elles sont entrecoupées de scènes répétitives sur le quotidien perturbé de ces hommes qui consacrent leur vie à sauver celle des autres. On se demande bien ce que fait ce film en compétition, sinon que Sean Penn y tient le haut de l’affiche. Mais qu’il est exaspérant à mâchouiller son cure-dents du début à la fin de ce pensum!