L’an dernier les choses étaient claires, deux perles, « Le ruban blanc » de Michael Haneke et « Un prophète » de Jacques Audiard, se détachant nettement du reste de la compétition. Cette année, c’est un peu la bouteille à encre sur la Croisette. De bons films, mais pas de ceux qui vous scotchent au fauteuil. Signe d’un cru honnête, sans éclat en somme. Du coup, côté Palme d’Or, je suis bien empruntée. S’il ne tenait qu’à moi, il n’y en aurait pas.
Mais puisqu’il faut en donner une, je pencherais pour un cinéaste dont le nom file des sueurs froides aux gens de radio et de télévision. Apichatpong Weerasethakul. Tout comme le titre de l’œuvre: « Oncle Boonmee celui qui se souvient de ses vies antérieures ». Un ovni magique, mystérieux et un rien languissant. Avec deux ou trois scènes délirantes comme cette princesse qui fait l’amour avec un poisson-chat, ou l’apparition à la table familiale de fantômes, tels un singe noir aux yeux rouges et une épouse défunte. Revenus pour accompagner l’homme dans la mort. Car atteint d’une insuffisance rénale, il n’en a plus pour longtemps.
Les méditations du réalisateur thaïlandais sur fond de répression brutale dans le pays suffiront-elles à détrôner Mike Leigh, déjà palmé pour «Secrets et mensonges» en 1996? Pas sûr, son film divise beaucoup les critiques dans le Film Français et la revue Screen. Alors qu’avec un seul petit point noir, le cinéaste britannique, bardé de palmes et d’étoiles, continue de mener la meute des prétendants grâce à «Another Year» , réflexion à la fois funèbre, cynique et sarcastique déclinée enquatre saisons, sur les choses de la vie et le temps qui passe.
Les grands favoris et les autres
Il devance deux candidats à la récompense suprême, eux aussi solidement installés dans le trio de tête depuis leur passage à l’écran. Il s’agit d’Alejandro Gonzales Inarritu avec «Biutiful» et de Beauvois avec «Des hommes et des dieux». Le premier suit un homme rongé par un cancer et qui tente de trouver la paix, tandis que le second revient sur le massacre de sept moines français en Algérie en 1996. Parmi les papables, on trouve encore «Poetry», du Coréen Lee-chang dong. Un film tout en délicatesse, évoquant une jolie grand-mère qui découvre la première fois le charme et la beauté de la poésie. La vie se chargera de la ramener à la réalité.
Parmi mes préférés, je citerais encore l’avant-dernier du concours «Un garçon fragile- Le projet Frankenstein», du Hongrois Kornél Mundruczo. Un réalisateur se rend compte, à la faveur d’un casting, que le garçon étrange devant la caméra est son fils. Un monstre qu’il a lui-même engendré dix-sept ans auparavant. J’ai enfin un faible pour « The Housmaid » du Coréen IIm Sangsoo, qui nous a tricoté un drame à la Chabrol, magnifiquement mis en scène.
Hors-la-loi, beaucoup de bruit pour rien
A Cannes, on a toujours droit à un événement particulier. Avec ou sans paillettes. Vendredi dernier c'était la mise en action du plan vigipirate.300 policiers mobilisés, la Croisette bouclée, des festivaliers soigneusement filtréset fouillés avant l’entrée dans les salles. Tout ça pour éviter des débordements, qui n’ont finalement pas eu lieu, lors de la projection de »Hors-la-loi», de Rachid Bouchareb, qui avait rameuté 1300 anciens d’Algérie en colère aux abords du Palais.
On se souvient de la polémique déclenchée par l e député UMP Lionnel Luca, parlant de révisionnisme alors qu’il n’avait même pas vu le film. Il n’a pas changé d’avis après, mais la controverse est bien vaine. Comme dirait Shakespeare, beaucoup de bruit pour rien, à la vision de cette longue fresque académique linéaire et plutôt laborieuse, mise à part l’impressionnante séquence du massacre de Sétif le 8 mai 1945. Les choses commencent en 1925 pour s’achever sur des images de l’indépendance algérienne. Avec un saut à Genève et un plan sur le jet d’eau. ..
Entre film noir et western, Bouchareb s’attache surtout à montrer, au-delà du contexte historique, le destin tragique de trois frères chassés de leur pays et qui font tout pour y retourner. Ils sont interprétés par Jamel Debbouze, Roschdy Zem et Sami Bouajila pas au mieux de leur forme.
La palme de la nullité au Japonais Kitano !
Voici qui ne devrait pas changer la donne en ce qui concerne le palmarès qui sera annoncé ce soir à Canal +. Encore que l’on ne sait jamais. Le journaliste propose et le jury dispose. En tout cas, je peux vous assurer d’une chose. S’il m’est difficile d’élire un film pour la Palme d’Or, je n’ai en revanche aucun problème pour celle de la nullité. Le Japonais Takeshi Kitano la décroche haut la main avec «Outrage», pitoyable retour aux sources avec de sanglants règlements de comptes entre yakuzas plus couillons les uns que les autres.Edmée Cuttat
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Federer à l'assaut de l'ogre de l'ocre
Cette incapacité à faire rêver les fans, c’est fou, non? Sans compter que pour une fois, j’eus aimé qu’ils justifient la réputation des Suisses âpres au gain. Des clous ! Nos laborieux hockeyeurs, qui n’avaient même pas à se baisser pour rafler le pactole se sont pitoyablement cassé les dents contre des outsiders allemands qui, du coup, se sont rempli les poches les doigts dans le nez.
Nuls ces Helvètes aux Mondiaux de la crosse. Genre Federer à Rome et à Estoril, où le roi s’est acharné à paumer bêtement quelques joyaux de sa couronne. Certes, il a réussi ensuite l’exploit de parvenir en finale à Madrid. Sauf qu’il a encore perdu une sacrée gemme, en se laissant balader en deux misérables sets par l’Attila de Manacor, plus dévastateur que jamais depuis son record de dix-huit Masters 1000, dont trois d’affilée sur terre battue.
Une défaite qui n’avait pas moins pleinement rassuré les fans, les experts et l’intéressé à une semaine de Roland Garros. A part moi. Et inutile de préciser que mon stress a empiré en découvrant la partie de tableau de la légende. De quoi en faire toute une histoire. Car je ne vous raconte pas le chemin de croix, et on sait à quel point le maestro rechigne à la porter, pour rallier le dernier carré au tournoi parisien. Le gage de conservation de son diadème, même si Nadal enlève le morceau. Un futur succès largement facilité par le parcours de sénateur qu’un tirage au sort scandaleusement clément a réservé à l’ocre de l’ogre.
Autre paire de manche côté phénix, susceptible de tomber en huitièmes déjà contre Wawrinka qui vante sa forme et son jeu décoiffants, ou Gaël Monfils. Imaginer qu’un Vaudois ou un Français contribuent à la chute mortifiante de Sa Grâce me file des frissons. Et si j’admets l’impossibilité de la chose, le génie trouvera sur son chemin trois bêtes noires potentielles pour tenter de l’empêcher de conserver son trône. Dont Ernests Gulbis, le redoutable petit prince de Riga.
Mais si je me ronge les sangs en pensant à Sa Grâce, que dire des pauvres Suissesses. Retomber à deux contre les sœurs Williams, bonjour la baraka! A commencer par Patty Schnyder, qui doit à nouveau se farcir Venus. Avec cette onzième chronique d’un échec annoncé, c’est franchement à désespérer de son karma.
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La lave et les cendres du volcan...
Federer se rassure. C’est bon de gagner enfin. A croire qu’il a remporté son dix-septième Grand Chelem avec ses deux succès aussi étriqués que laborieux, particulièrement le second contre le Français Arnaud Clément, à l’Open d’Estoril.Alors que s’il ne remporte pas ce minitournoi de campagne portugais les doigts dans le nez, c’est franchement à désespérer. Surtout que les trois autres «ténors» de l’épreuve ont déclaré forfait. Davydenko a le poignet en charpie, Ljubicic les abdos en bouillie et Monfils l’estomac en compote. Mais à part ça, Madame la Marquise…Et je ne vous raconte pas les atouts décoiffants des chiots qui jappent derrière, le mieux classé pointant au-delà de la trentième place! Bref, de quoi continuer à me ronger les ongles jusqu'au sang pour la semaine madrilène, où «Rodgeur» doit défendre son titre.Voilà cependant qui n’empêche pas les fans de mettre déjà Sa Grâce parmi les favoris de Roland Garros. Certes derrière Nadal, Verdasco et Ferrer, mais quand même, cela frôle l’inconscience, j’estime.Remarquez, certains poussent l’aveuglement jusqu’à caser… Wawrinka également vainqueur dans la douleur à Belgrade, dans les dix principaux prétendants à un parcours de luxe. Il est vrai qu’en considérant les performances du Bâlois depuis Indian Wells, il ne serait pas si surprenant de voir le Vaudois fouler plus longuement la terre parisienne que son compatriote. Sauf que d’ici à rallier le bout du chemin, des clous!De toute façon, n’importe qui peut faire une croix sur le sacre, avec le retour de l’ogre sur l’ocre. Suite au passage de Rafa la tornade à Monte-Carlo et à Rome, il me paraît quasi inutile de la jouer, cette finale.Même si le jeune Gulbis trouve que l’ouragan souffle nettement moins fort côté coup droit. Une outrecuidance que se permet le petit prince de Riga après avoir été le premier à arracher un set au pitbull en neuf matches.Raison pour laquelle on compare le réveil du fougueux Espagnol à celui de l’explosif volcan islandais. Une image que balaye tonton Toni d’un haussement d’épaules un rien méprisant. Comble de coquetterie, il trouve les exploits de son neveu d’une rare banalité.Et pourtant, à l’image du méchant Eyjafjoll qui a obstrué le ciel européen pendant une semaine, l’Ibère au regard de braise risque bien de boucher celui de la légende au cours de la quinzaine Porte d’Auteuil.Différemment posé, Nadal c’est pour l’instant la lave et Federer les cendres. D’où, grave question existentielle, le phénix en renaîtra-t-il? A Madrid d’abord, à Paris ensuite.