Assis sur une chaise parmi d’autres personnes, un jeune homme attend. Il semble un peu nerveux, se recoiffe et tente d’enlever une tache sur le poignet de sa chemise blanche. Une femme l’appelle par son nom. Il se lève et la suit. Ce garçon qu’on découvre en ouverture du film de Boris Lojkin, c’est Souleymane. Il a fui la Guinée pour rejoindre la France dans l’espoir, comme tant de migrants, d’une vie meilleure pour lui et sa mère malade restée au pays.
Demandeur d’asile, Souleymane se retrouve à Paris, sillonnant les rues à vélo pour ivrer des repas à la place d’un autre qui lui loue son application téléphonique. Son statut lui interdit pourtant de travailler, et il lui reste deux jours avant un entretien à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), qui lui permettra peut-être d’obtenir des papiers. Mais comme il n’a pas été persécuté en Guinée, il a dû acheter à un compatriote, un récit propre à émouvoir mais qu’il a du mal à mémoriser. Alors il se prépare, répétant encore et encore son histoire, tout en pédalant sans relâche et à toute allure, se jouant dangereusement du trafic et des feux rouges.
Une route semée d’obstacles
Et les galères ne manquent pas, qui font monter la tension. Entre les flics à éviter, son loueur de compte qui le harcèle, une chute qui le retarde, un restaurateur et une cliente dépourvus de la moindre humanité, sa route est semée d’obstacles. Souleymane n’a droit qu’à quelques moments de répit dans un centre d'hébergement d'urgence, où il peut manger, se doucher, laver sommairement son linge, rencontrer d’autres infortunés, passer une nuit…
Avec ce thriller politico-social, Boris Lojkine livre un témoignage puissant, ancré dans la réalité de ces candidats à l’asile pour qui tout est si compliqué, en l’occurrence ces livreurs de repas maltraités sans complexe par des gens sans scrupules. Tout en rendant hommage à leur courage, il les suit en nous plongeant quasi physiquement dans leur quotidien brutal en forme de tunnel, au bout duquel ils désespèrent de voir la lumière.
Un acteur est né, Abou Sangaré
La force et la réussite de ce film sans pathos qui nous accroche dès le début pour ne plus nous lâcher, tient évidemment beaucoup à la remarquable interprétation d’Abou Sangaré. C’est une révélation. Il bouleverse dans la peau de ce vélocipédiste exilé, fils aimant, dur à la tâche, qui mène un véritable combat. A méditer pour les populistes rampants prompts à le voir comme un délinquant en puissance. On retrouve Souleymane à l’Ofpra, comme au début, dans une dernière séquence où il fait face à une sévère mais juste agente de protection, incarnée par l’excellente Nina Meurisse. Pris au piège de son gros mensonge, Souleymae finira par craquer….
Le jury d’Un Certain Regard à Cannes en mai dernier ne s’y est pas trompé. Alors qu’il a décerné son Prix à Boris Lojkine pour l’oeuvre, il a sacré Abou Sangaré meilleur acteur. Alors sous le coup d’une OQTF, ce dernier le reste aujourd’hui, en dépit d’une quatrième demande de régularisation.
A l’affiche dans les salles de Suisse romande, depuis mercredi 9 octobre.