Saisissant, le début est d’une rare brutalité. Le jeune Kevin se jette contre la baie vitrée d’un pavillon de banlieue qui se brise, et s’écrase à l’intérieur de la pièce. Il est grièvement blessé. Surgissent alors une bande de garçons armés jusqu’aux dents sous la direction de Jessica, une divine guerrière aux yeux bleu-vert sublimes. Elle soigne ses blessures avant que ses petits soldats ne l’emportent, évitant de justesse un essaim de drones qui leur fonce dessus.
On pourrait se croire dans une sorte de James Bond, mais Caroline Poggi et Jonathan Vinel, auteurs de ce premier long métrage plus que prometteur, vont très vite nous emmener ailleurs avec Jessica Forever..Dans un univers légèrement mais suffisamment futuriste pour qu’on y perde nos repères, où une frange de la population est impitoyablement traquée et tuée sans sommation par les dits drones.
Les victimes sont les orphelins, des individus violents, dangereux qui auraient tous commis dans le passé, nous informe une voix off, des actes inavouables. Pour survivre. Une dizaine d’entre eux, à l’image de Kevin, ont eu la chance d’être recueillis par Jessica. Qui les a sauvés d’un destin tragique.
Jeanne d’Arc vêtue de cuir, madone, sainte, grande sœur, mère, déesse, elle est incarnée par la troublante Tessinoise Aomi Muyock (photo), découverte en 2015 dans Love de Gaspar Noé. Magicienne à l’aura mystique, elle règne en douceur sur ses orphelins qui la vénèrent, leur offrant, pour les changer et leur redonner confiance en l’humanité, l’amour dont ils ont été privés dans une société qui les a rejetés et en a fait des monstres.
Plus ou moins asexués, un peu mutants, Michael, Lucas, Kevin, Dimitri et leurs potes sont comme des enfants, dont ils ont le vocabulaire. Ils aiment les gâteaux, les céréales, les glaces, les siestes collectives, jouer avec des chatons, tout en s’entraînant au combat, dans l’attente perpétuelle d’une attaque des redoutables forces spéciales.
Une famille aussi bizarre qu'idéale
Jessica subvient à leurs besoins, les protège. Ensemble ils forment une famille un monde dans lequel ils ont la possibilité et surtout le droit de vivre. C’est sur cette famille aussi bizarre qu’idéale que se concentre les deux réalisateurs, livrant un film hybride, inclassable, étrange, fascinant, envoûtant, hypnotique.
Questionnement sur la violence actuelle, Jessica Forever est un objet cinématographique difficilement identifiable, qui peut séduire à la fois les ados et les cinéphiles. Déstabilisant, dépaysant, flirtant avec le jeu vidéo, l’action, la science-fiction, le fantastique, ce conte moderne à la frontière des genres n’appartient à aucun. Audacieux, radical, inventif, sensoriel, il invite au lâcher-prise. On s'abandonne à l’expérience avec plaisir.
A l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 8 mai.
"Astrid, comment fais-tu pour écrire si bien sur ce que c’est d’être un enfant, quand tu n’en as pas été un depuis si longtemps?" demande un petit garçon dans une lettre à une vieille dame qu’on voit de dos, face à une fenêtre, et qui ouvre un sac plein de courrier. On est en 1987. La dame en question, qui fête son anniversaire n’est autre que le personnage d’Astrid Lindgren, l’écrivaine suédoise, notamment créatrice de la fameuse Fifi Brindacier. Mais aussi de Ronya fille de brigands, ou encore de Zozo la tornade.
Un papa tiraillé entre sa passion du sport et sa vie de famille, un mec qui ne pense qu’au cul, une transgenre de choc au caractère explosif qui ne cesse de se mettre en scène, un puceau transi, un quinqua, doyen de la bande, affolé par les années qui passent… Voici un échantillon des Crevettes pailletées, une fine équipe de water-polo gay, que Mathias Legoff, vice-champion de natation, est condamné à entraîner pendant trois mois après avoir tenu des propos homophobes.
Certes, les deux auteurs n’évitent ni les clichés ni la caricature avec des personnages stéréotypés, mais leur but est d’amuser, de revendiquer le droit à la différence et à l’outrance, en faisant passer un message de tolérance, d’ouverture, de lutte contre toute forme de discrimination. Même au sein de la communauté, où on peut se détester cordialement comme dans n’importe quel milieu.