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Sorties de la Semaine - Page 96

  • Grand écran: Guédiguian se mue en lanceur d'alerte dans "Gloria Mundi". Avec Ariane Ascaride sacrée à Venise. Interview

    1567605677695.jpgAprès La Villa, Robert Guédiguian revient avec Gloria Mundi, émouvante chronique où il se penche sur une société en perdition. Le film ouvre pourtant sur un jour heureux. Une famille recomposée se retrouve à la maternité pour fêter la naissance de Gloria, la fille de Mathilda (Anaïs Demoustier) et de Nicolas (Robinson Stévenin).

    Parallèlement on voit Daniel (Gérard Meylan), le père de Mathilda, sortir d’un long séjour en prison. Son ex-femme Sylvie (Ariane Ascaride), exploitée dans une société de nettoyage industriel et Richard (Jean-Pierre Darroussin), son second mari conducteur de bus, l’invitent à revenir à Marseille et à rencontrer sa petite-fille.

    Mais le bonheur, illusoire, va bientôt céder la place à la noirceur, à la violence, à la colère, au désespoir, à la trahison. Le jeune couple n’arrive pas à nouer les deux bouts. Nicolas qui pense s’en sortir comme chauffeur Uber s‘enfonce dans les dettes, tandis que Mathilda, vendeuse à l’essai se morfond sans oser broncher dans cet emploi précaire. Elle envie sa demi-sœur Aurore (Lola Neymark) et son compagnon Bruno (Grégoire Leprince-Ringuet) qui s’enrichissent sans états d’âme sur le dos des plus pauvres.

    Dans un Marseille gris et glacé à la modernité architecturale mondialisée, le toujours militant mais désabusé Robert Guédiguian brosse le portrait implacable d’une jeunesse aux abois, produit d’un monde impitoyable. Il lui oppose la génération précédente, assistant impuissante à la perte de ses idéaux, solidarité, fraternité, fidélité, dans un univers déshumanisé qui court à sa perte.

    5c21d9759a99b895fbd02ec460621428_L.jpgIl est symbolisé par cette famille modeste au destin tragique. Ce mélodrame en forme de constat social dur, amer et déprimant, où on peut reprocher au réalisateur de grossir le trait et de trop accabler les jeunes, a valu à Ariane Ascaride le prix de la meilleure interprétation féminine à la dernière Mostra de Venise.

    Elle est parfaite dans le rôle de Sylvie qui se tue à la tâche pour subvenir aux besoins des siens. Et on n’oubliera pas, aux côtés des impeccables Demoustier, Darroussin, Stévenin, Leprince-Ringuet, Lola Neymark, le lumineux et poétique Gérard Meylan, réfugié dans une chambre miteuse où il écrit des haïkus, et qui se sacrifiera pour aider cette tribu qui se déchire, victime du marasme ambiant.

    Gloria Mundi est probablement le film le plus noir et le plus pessimiste de Robert Guédiguian. Ariane Ascaride, rencontrée récemment à Genève n’en disconvient pas, tout en nuançant le propos. «C’est vrai. Il est très sombre. Mais en même temps Robert regarde les gens avec beaucoup d’amour et d’humanité. Il veut encore croire qu’on peut faire bouger les choses. C’est un cri d’alarme destiné aux politiques pour leur dire qu’on ne peut pas continuer comme ça. Il faut se préoccuper de ceux qui souffrent d’exclusion. A Paris, à Marseille et dans d’autres grandes villes, les cités, par exemple, forment un monde à part. Le fossé s’est considérablement creusé avec leurs habitants. Il faut aujourd’hui passer par l’école, la santé pour espérer que cela change».

    On est tenté de dire qu'il s'agit presque d'un film "gilet jaune".

    Robert l’écrit un an avant la crise. Quand on commence à tourner, c’est le début des manifestations. Pour moi un artiste anticipe toujours les choses. Je ne sais pas s’il parle des gilets jaunes, mais ce dont je suis sûre c’est qu’il évoque tous ceux qu’on ignore, qui s’épuisent pour des salaires de misère et ne savent pas comment ils vont finir le mois.

    Parlez-nous de votre rôle de femme de ménage.

    C’est la louve de Rome qui veut protéger ses enfants. Une combattante dans la survie. Et cela fait longtemps que ça dure. Il faut absolument s’en sortir. Elle ne veut pas que sa fille se retrouve dans la même situation quelle auparavant.

    On est surpris que vous ne vous mettiez pas en grève comme les autres employés.

    C’est en effet la première fois que je joue un personnage qui refuse de faire grève. Si c’était le cas, Sylvie ne  pourrait pas sauver sa famille. Cela suffit à raconter l’état d’anxiété des gens avec ce tissu social complètement distendu, où il n’y a plus de proposition politique, où la gauche en a pris un sacré coup.

    Vous avez neuf minutes pour faire une chambre. Quand vous frottez, on sent que ce n’est pas du flanc.

    Je viens d’une famille populaire, je sais très bien frotter. Et ce n’est pas nouveau. Vous n’imaginez pas le nombre de films où j’ai dû passer l’aspirateur. Pour résumer, j’ai rarement été une princesse au cinéma. 

    gloria_mundi_photo_12-ex-nihilo-2019-1600x865.jpgVous êtes entourée de Gérard Meylan (à droite), votre ex-mari dans le film et le second Jean-Pierre Darroussin. Il y a un petit parfum de Marie-Jo et ses deux amours.

    J’y ai évidemment aussi pensé. Mais pour être juste, on est très souvent tous les trois, Robert ayant utilisé toutes les situations possibles et imaginables en me faisant jouer avec ces deux hommes.

    Vous avez été sacrée meilleure actrice à Venise. Une surprise ?

    Oui je l’avoue. Pourquoi moi ? C’est un film choral. Sincèrement, je pense que le prix d’interprétation aurait dû être masculin et aller à Gérard Meylan. Evidemment j’étais très contente. Mais c’est un métier difficile. Et après un prix il faut tenir. On change de statut.

    Vous aviez pourtant déjà eu un César. Et apparemment vous avez bien supporté le choc.

    C’est vrai. Mais je l’ai eu à 40 ans. Heureusement d’ailleurs. De toute façon, à 20 ans, je ne correspondais pas aux actrices de mon âge. Après avoir été un handicap, mon physique particulier s’est révélé un avantage. Je reste un peu à côté, mais je suis incontournable.

    Dans le fond c’était une chance pour vous d’avoir un mari cinéaste.

    Je vous signale que lui aussi avait de la chance de m’avoir! On a chacun amené quelqu'un. Au départ c’était une petite entreprise à quatre. Et cela fait 36 ans que ça dure.

    A part deux films, vous jouez dans tous les Guédiguian. Vingt plus précisément. Mais vous collaborez avec d’autres réalisateurs. Comment cela se passe-t-il?

    Très bien. J’adore travailler avec d’autres cinéastes. La seule chose que je ne supporterais pas c’est le conflit. On me prend comme je suis ou on ne me prend pas. C’est très clair.

    "Gloria Mundi" à l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 4 décembre.

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  • Grand écran: "And Then We Danced", émancipation sexuelle entre rivalité et désir irrésistible

    And-Then-We-Danced.jpgA priori la danse folklorique géorgienne et la discipline de fer qu’impose un maître intransigeant à l’un de ses meilleurs adeptes ne sont pas de nature à provoquer un fol enthousiasme. C’est compter sans le talent de Levan Atkin, réalisateur suédois d’origine géorgienne, qui nous touche et nous séduit avec son troisième long métrage, And Then We Danced, récit d’une émancipation sexuelle sur fond de culture et de politique dans un Etat orthodoxe peu favorable à la liberté des mœurs.  

    Depuis qu’il sait marcher, Merab (l’excellent et lumineux comédien-danseur Levan Gelbakhiani) s’est formé avec rigueur à la pratique traditionnelle des sauts, kartuli, kandjlouri et autres khevsourouli. Avec une fougue qui ne trompe pas sur la volonté farouche de ce garçon mince et musclé au physique androgyne d’atteindre les sommets, en réalisant son rêve d’intégrer le prestigieux Ballet National.

    Humilié par son professeur

    On le découvre en studio où, avec Mary son amie de toujours, il recommence  inlassablement ses pas et ses mouvements, tendant à leur apporter un peu de renouveau entre fluidité et rigidité. Mais ce n’est pas gagné, son entraîneur ne cessant de l’humilier, lui assénant qu’il est trop mou, aboyant, sans qu’il ose le contredire, qu’il n’y a pas de faiblesse dans la danse géorgienne. Elle requiert une hyper masculinité s’opposant à la candeur virginale des filles, lui répète-t-il.

    C’est alors que débarque le charismatique et magnétique Irakli (Baschi Valishvili) à la boucle d’oreille. Mais si ce garçon décomplexé face au prof se pose en grand rival, il devient aussi le plus cher désir de Merab, qui finit par l’emporter sur la compétition. Cette forte attirance se manifeste lors d’un de ces week-ends alcoolisés, où Merab et ses amis cherchent à s’évader d’un quotidien dominé par la promiscuité familiale, le manque lancinant d’argent et la  perspective désespérante d’un avenir bouché.  

    Si l’éveil sexuel de ce personnage aussi attachant que désarmant, commence avec Irakli, il ne se prolongera pas avec lui, l’intéressé disparaissant un jour sans prévenir. L’important n’est toutefois pas seulement une romance gay contrariée, par ailleurs dénoncée comme contre-nature, mais le parcours intérieur de Merab, la découverte de son identité, la manière dont le cinéaste filme les corps, captant l’érotisme masculin en mêlant sensualité, intensité, délicatesse et tendresse.

    And Then We Danced, qui représentera la Suède aux Oscars, est le premier film LGBT en Géorgie, tourné à Tbilissi, la capitale. On rappellera que même si une loi a été promulguée pour protéger les minorités sexuelles, leur situation reste précaire dans le pays, comme l’évoque l’œuvre. Sélectionné à la dernière Quinzaine des réalisateurs à Cannes, Levan Atkin avait d’ailleurs rendu hommage aux personnes attaquées dans ce qui devait être la première Gay Pride en 2013.

    A l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 4 décembre.

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  • Grand écran: dans "Le regard de Charles", Aznavour se dévoile, homme derrière la star

    image.jpg«Vous m’avez beaucoup vu. C’est votre regard qui m’a fait. Mais ce que vous ne savez pas c’est que moi aussi je vous ai regardés et ça m’a fait quelque chose. Ma caméra m’a ramené vers vous …. »  

    Ces mots, Charles Aznavour les prononce au début du documentaire émouvant et singulier réalisé par Marc Di Domenico et qui sort à l’occasion du premier anniversaire de la mort du célèbre chanteur-acteur le 1er octobre 1918. Il réunit des images que l’artiste aux 1000 chansons, aux 180 millions d’albums et à la soixantaine de rôles, a lui-même filmées au fil des ans. Elles sont entrecoupées d'archives télévisuelles. 

    Quelques mois avant sa disparition, Aznavour décide d’en faire un film, Le regard de Charles et donne à Marc Di Domenico accès à une masse de matériel, entreposé depuis des décennies dans une pièce de sa résidence provençale et immortalisé par une petite caméra offerte par Edith Piaf en 1948.

    Un regard multiple

    Jusqu’en 1982, elle ne quittera plus le chanteur, légende mondiale, qui posait sur son existence et celle des autres un oeil de cinéaste. Il l’emportait partout avec lui, filmant son quotidien, ses voyages, ses succès, enregistrant des instants de vie, les lieux qu’il traverse, les gens qu'il rencontre et, comme dit sa chanson, ses amis, ses amours, ses emmerdes.

    Le-Regard-de-Charles-11-950x520.jpgCar le regard de Charles est multiple. Il y a celui qu’il portait sur le monde lors de ses voyages en Afrique, en Asie, en Amérique latine, où il filmait le peuple, les anonymes, qu'il préférait aux monuments. Il y a le regard de l’amoureux sur Micheline, Edith ses deux premières épouses et évidemment sur Ulla (photo), la femme de sa vie qu’il a épousée en 1967.

    Il y a aussi son regard sur ses parents, émigrants arméniens dont il est si fier. Ou encore celui heureux du père comblé de quatre enfants et celui, douloureux, du père tourmenté par la mort de son fils Patrick d’une overdose à 25 ans.
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    En découvrant ce que Charles a filmé, Marc Di Domenico tombe sous le charme, comme il nous le dit lors d’une récente rencontre à Genève en compagnie de Mischa, le cadet de la famille. «J’ai trouvé des choses inattendues, non conventionnelles, un parcours initiatique, la vision d’un homme sur l’altérité, sa volonté de réussir sa vie, Par ailleurs, les images n’étaient pas celles d’un simple touriste, elles étaient composées. Ce qui n’a rien d’étonnant, Charles ayant toujours voulu être réalisateur».

    Construit comme un album

    L’opus, dont le texte est dit par le comédien Romain Duris, un excellent choix, est construit comme un album avec des chansons qui structurent un texte évoquant les voyages, les femmes, la carrière. «J’avais envie de relater un journal à la fois intime et universel. Une traversée du siècle et en même temps des choses qui sont communes à beaucoup de gens».

    Tous les aspects de la personnalité de Charles sont abordés, dont son goût pour les relations dévastatrices, pour l’argent. «J’ai joui d’une totale liberté à cet égard. Par exemple de qu’il y a eu avant Ulla n’a pas été censuré. Comme l’abandon de sa première femme quand il part au Canada, la mort de Patrick, le fait qu’il aimait l’argent. J’en avais, j’étais content de moi, dit-il. Pour moi, cela ne fait qu’humaniser davantage un homme qui a dû se battre pour imposer son physique et sa voix. Il a construit sa formidable relation avec le public contre les médias».

    A l’affiche dans les salles de Suisse romande depuis le 27 novembre.

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