le blog d'Edmée - Page 2
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Grand écran: Dreamers", touchante histoire d'amour entre migrantes queer. Un film fort et engagé
Après avoir fui le Nigeria en raison de son homosexualité révélée, et vécu deux ans en Angleterre sans papiers, Isio (Ronke Adékoluejo), est arrêtée et emmenée dans un centre d’asile. Elle tient à observer strictement les règles dans l’espoir d’obtenir rapidement une audience à l’issue favorable. Alors qu’elle s’habitue à la vie du lieu, elle tombe amoureuse de Farah (Ann Akinjirin), sa charismatique compagne de chambre. Plus lucide, elle voit les choses très différemment. Pour Farah, il n’y a rien à gagner à se soumettre.Isio en doute et se moque un peu des fantasmes d’évasion d’autres détenues avec qui elle se lie d’amitié. Mais lorsqu’elle se trouve elle-même rejetée à plusieurs reprises et que la promesse d’une nouvelle vie est menacée, elle se rend compte à son tour que pour survivre, il faut enfreindre les règles et trouver une autre voie. La sienne.Dans Dreamers, son premier film récemment primé au festival Everybody’s Perfect, la Nigériane Joy Gharoro-Akpojotor s’inspire de sa propre expérience du système d’asile britannique, pour évoquer le difficile parcours des demandeurs d'asile. Evitant le misérabilisme, elle propose une odyssée poétique visuellement très soignée, multipliant les séquences oniriques sur la quête de liberté, qui se gagne aussi grâce à l’imagination, le rêve. Comme dit Farah, elle commence dans la tête.Mêlant drame social et thriller, la réalisatrice raconte une bouleversante histoire d’amour et de libération intime derrière les barreaux, entre migrantes noires queer, contraintes à l’invisibilité dans leur pays où l’homosexualité est un crime. Un film fort, important, engagé, politique, prônant la dignité face à l’inhumanité d’un environnement hostile.A l'affiche dans les salles de Suisse romande, dès mercredi 10 décembre. -
Grand écran: sortir du cadre coûte cher à l'héroïne de "Love Me Tender", incarnée par la remarquable Vicky Krieps
En quête d’indépendance, Clémence a tout lâché. Sa carrière d’avocate pour devenir écrivaine, son mari pour vivre sa sexualité. Mais tout bascule chez cette bourgeoise devenue précaire, quand elle annonce à Laurent, son ex, qu’elle est lesbienne et qu’il décide alors de lui retirer la garde de Paul, leur fils de huit ans. Dévastée, Clémence va devoir se battre pour cet être qu’elle adore.
Magistralement porté par Vicky Krieps, Love Me Tender, le deuxième long métrage d’Anna Cazenave Cambet, est adapté du roman éponyme et autobiographique de Constance Debré, paru en 2020. Explorant l’amour sous différentes formes, l’identité, la liberté, l’auteure montre surtout une femme en train de se reconstruire physiquement et spirituellement. Ce désir de réinvention passe par la natation, que Clémence pratique assidûment tous les jours. Le film ouvre par de gros plans sur la nageuse, la suivant dans son élément, sous la douche, s’attardant sur son corps athlétique, harmonieusement sculpté par une discipline exigeante. Ce qui n’est pas pour déplaire à ses conquêtes féminines.
Pitoyables accusations de l’ex-mari
Entre brèves rencontres et relation plus suivie, on retrouve Clémence dans un café avec Laurent (Antoine Reinartz). Ils tentent de rester en bons termes pour leur enfant. Lui est manifestement toujours amoureux. Elle non. C’est là qu’elle lui apprend qu’elle «vit des histoires avec des femmes». Il feint de l’accepter, mais blessé dans son orgueil, cet homme détestable à l’esprit étroit transforme très vite son dépit et sa rancœur en vengeance.
Il va punir Clémence de son audace à se libérer de lui en usant d’une arme redoutable: leur fils qu’il manipule, dont il va la priver en le montant contre elle, lui reprochant de l’avoir délaissé pour s‘encanailler. Multipliant les dénonciations pitoyables, il n’hésite pas à l’accuser de pédophilie. Même si Clémence et le petit Paul continuent à s’aimer, leur relation pâtit de ces attaques perfides et des décisions qui en découlent. A cet égard, Anna Cazenave Cambet dénonce la violence de la justice lors d’un divorce conflictuel, où l’homosexualité de son héroïne est utilisée contre elle. Comme s’il s’agissait encore d’un délit.
Cette brutalité s’étend au monde homophobe et misogyne qui entoure Clémence. Il ne comprend pas sa volonté d’être femme avant d’être mère. Son aspiration à l’émancipation, à une autre existence, à un autre amour, se heurte aux préjugés qui hélas perdurent. Love Me Tender montre le prix à payer pour les femmes qui sortent du cadre, n’entrent dans aucune case, s’affranchissent de la norme. Certaines scènes peuvent laisser imaginer une reconnexion mère-fils, notamment lors de rencontres parfois déchirantes sous surveillance. Mais à force de résistance inutile, Clémence capitule. Un renoncement qui sonne paradoxalement comme une renaissance lui permettant, dépouillée de toute convention, de mener enfin dans la joie la vie de son choix.
A l’affiche dans les salles de Suisse romande, dès mercredi 10 décembre. -
Grand écran: "Les enfants vont bien", émouvant mélo familial porté par Camille Cottin. Rencontre avec le réalisateur Nathan Ambrosioni
C’est l’été. Suzanne (Julie Armanet), accompagnée de ses deux jeunes enfants, débarque à l’improviste chez sa sœur Jeanne (Camille Cottin). Celle-ci est totalement prise au dépourvu. Non seulement elles ne se sont pas vues depuis plusieurs mois mais Suzanne se comporte bizarrement. Elle paraît détachés, absente. Le lendemain matin, elle n’est plus là. Mais elle a laissé une lettre dans laquelle elle explique qu’elle a décidé de… disparaître!
Sidérée, Jeanne se rend à a la gendarmerie, mais on lui apprend qu’aucune procédure de recherche ne pourra être engagée, Suzanne ayant volontairement et librement fait son choix, et donc exercé son droit à l’oubli. Célibataire, absorbée par son boulot, dépourvue de la moindre fibre maternelle, Jeanne se retrouve d’un coup avec deux neveux à charge, dans une situation a priori ingérable. C’est la panique, les questions qui se bousculent. Pourquoi sa sœur a-t-elle fait ce choix insensé ? Le pouvait-elle vraiment? Pourquoi lui avoir confié ses gosses, à elle qui n’en voulait pas? Envisage t-elle de revenir? La police n’a-t-elle réellement aucun moyen d’intervenir?
La famille est un thème que le jeune réalisateur Nathan Ambrosioni avait déjà traité en 2023, également en compagnie de Camille Cottin, dans Toni en famille. La, il observe le bouleversement brutal dans la vie de son héroïne soudain complètement déstabilisée, qui se demande comment elle va désormais pouvoir s’en sortir dans un quotidien chamboulé.Excellente Camille Cottin
Tout en jonglant avec divers sujets complexes, sororité, maternité, intimité, passé familial, l’auteur propose paradoxalement un film simple, délicat, sensible, réaliste, porté par une excellente Camille Cottin dans un rôle écrit pour elle. Le cinéaste qui avoue avoir eu la chance qu'elle accepte, alterne les points de vue: ressenti de son personnage et regard des enfants. On est par ailleurs dans un drame inversé, .le récit commençant par le pire pour aller vers la lumière, la réparation. La vie qui avance.
A seulement 25 ans, Nathan Ambrosioni signe son troisième film. Logique selon ses dires, lors d’une rencontre à Genève: «J’adore le cinéma et je ne sais faire que ça. Depuis l’âge de 12 ans, je mange, je dors, je me réveille, je pense cinéma. Il m’habite littéralement».
Petite précision. En français le film s’intitule Les enfants vont bien et en anglais Out Of Love. Quelle est la raison de cette différence?
En ce qui concerne l’anglais, c’est une idée de nos distributeurs. Le titre est ambigu car il peut signifier Sans amour ou Par amour. En français, il y a un contre-sens assez ironique, dans la mesure où ,dans le fond, Les enfants ne vont peut-être pas aussi bien que ça…
D’où vous est venu cet intérêt pour les disparitions volontaires?
D’un article paru en 2019, où une mère évoquait celle de son fils adulte. .Je ne cessais d’y penser, je voulais comprendre. Je trouvais cet acte terrible pour une mère. De surcroît, ma sœur est partie cette même année en Nouvelle-Zélande et n’est pas revenue. Je n’ai pas tout de suite fait le lien entre ces deux événements, mais petit à petit, j’ai eu envie de me pencher à nouveau sur la famille. Enfin il faut savoir qu’en France il y a 15000 personnes par an qui s’évanouissent ans la nature. Un phénomène en soi suffisamment intrigant.Vous avez fait beaucoup de recherches. Est-ce vrai que la police ne peut pas enquêter sur ces affaires?
Oui, pendant deux mois Je me suis entretenu avec des policiers des psychiatres. J’ai appris beaucoup de choses. Ce qui m‘a frappé, c’est l’humanité de ces gens, au-delà des lois. Ils se sentent concernés, impliqués. C’est fort. Le film devait le montrer. Tout comme le droit à l’oubli, qui empêche effectivement d’ouvrir des enquêtes.Pourquoi avez-vous ajouté l’abandon d’enfants?
Un scénario c’est comme un personnage. IL faut bien le nourrir pour le faire mieux exister. Je prends toujours énormément de notes avant d’écrire. A un dîner, lors d’une rencontre, au travail. J’avais envie de raconter le rapport de ces femmes à la maternité, explorer ce lien, déconstruire certains schémas en évoquant notamment le fait qu’on accepte toujours mal qu’une femme ne veuille pas procréer. Cela pose des questions morales.
Puisqu’on parle d’enfants, était-ce difficile de travailler avec eux ?
Non, j’ai adoré. Ils étaient très investis. En même temps il fallait évidemment les protéger, éviter de les traumatiser car il s’agit d’un film dur. On a procédé comme pour un jeu, mais très concret, de sorte que tout reste crédible.On devrait bientôt retrouver Nathan Ambrosioni, qui n’a pas attendu pour se remettre à l’écriture et qui mitonne cette fois un film d’horreur. «Ado, j’en ai réalisé des petits. J’aime me faire peur».
«Les enfants vont bien», à l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 3 décembre.