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Sorties de la Semaine - Page 115

  • Grand écran: "La Favorite", sulfureuses intrigues de cour entre sexe et course au pouvoir

    a-favorite_0.jpgYorgos Lanthimos, inclassable et inventif auteur grec  de CanineThe Lobster et Mise à mort du cerf sacré, a choisi cette fois une œuvre en costumes, dont il brise évidemment les codes dans une réalisation très enlevée. Loufoque, décomplexée, provocante et fantasque, La Favorite se déroule au début du XVIIIe siècle. La guerre fait alors rage entre l’Angleterre et la France durant le règne d’Anne (Olivia Colman), la dernière des Stuart, sans héritier malgré ses 17 grossesses.

    Empâtée, de caractère instable et de santé fragile (elle souffre de la goutte), la souveraine est nettement plus intéressée par les courses de canards, ses lapins chéris (devenus ses enfants) et ses petites turpitudes personnelles que par les affaires du pays.

    Elle laisse gouverner à sa place son amie Lady Sarah, la duchesse de Marlborough (Rachel Weisz), à l’origine de la lignée Spencer-Churchill dont sont issus la princesse Diana et Winston Churchill. Tout se passe à merveille entre les deux femmes très complices, jusqu’à l’arrivée d’Abigail Hill-Masham (Emma Stone), destituée de son titre de baronne suite aux spéculations de son père et que Sarah, sa cousine, accepte de prendre comme servante.

    Excellentes comédiennes

    Mais la belle et ambitieuse Abigail n'a pas la moindre intention de rester au bas de l'échelle. Bien décidée à renouer avec ses racines aristocratiques, elle parvient à gagner la confiance de la reine, devient sa nouvelle confidente et provoque la jalousie de Sarah.

    Formant un triangle amoureux cruel, nos guerrières sexuellement libérées et révélant des traits de caractère insoupçonnés, s’opposent dès lors dans une course dévastatrice au pouvoir. C’est le péché mignon du réalisateur qui aime évoquer dans ses films les luttes d’influence au sein d’un groupe, en privilégiant le côté psychologique

    Les trois actrices  sont excellentes, Olivia Colman (photo), qui a pris 16 kilos pour le rôle, plaisant plus particulièrement au jury de la Mostra de Venise, en décrochant le prix d’interprétation. Quant à l’auteur de cet irrévérencieux film de femmes qui ont le contrôle sur les hommes, basé sur une réalité historique dont il joue, il a remporté le Grand Prix. La comédie  est par ailleurs, avec Roma, une grande... favorite des Oscars.   

    A l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 6 février.

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  • Grand écran: "Greta Gratos", légendaire icône genevoise, se dévoile. Passionnant

    Greta_T-dansant_3.jpgIcône légendaire de la scène alternative genevoise, égérie des T-dansants de l’Usine,  Greta Gratos, née sorcière il y a 24 ans, est une diva au look asiatico-gothique, accentué par son trait d’eye-liner, son visage pâle et  sa bouche carmin. La réalisatrice Séverine Barde a consacré un film à cet être fictif fascinant, extravagant, sophistiqué, étrange, troublant, incarnation de l’imaginaire de son créateur, Pierandré Boo, lui-même comédien à multiples facettes, extrêmement cultivé.

    Au fil de ce documentaire passionnant, on découvre une performeuse, artiste conceptuelle, chanteuse, actrice, écrivaine, chroniqueuse, dessinatrice, poétique, politique, porte-parole des causes qui lui tiennent à cœur. Et même invitée au Centre culturel  Les Dominicains en Haute Alsace, un ancien couvent. A l’occasion d’une rencontre, Pierandré  Boo nous en dit plus sur lui et son plus bel outil, cette Greta libre, inventive, se moquant du genre et  qui nous questionne sur notre propre diversité.  

    Pierandré_1.jpg"Je suis une fleur tardive"

    "Je me suis toujours perçu comme une fille dans un corps de garçon et ravi de l’être", raconte l’artiste (photo). "Je ne voulais pas me transformer, perdre mon pénis  Je suis une fleur tardive. Il était prévu que je ne ferais rien de public. Et que je ne sortirais pas de ma chambre. Je me disais cela tout petit. Puis je me suis autorisé à ouvrir mes démarches  en  dessin, sculpture, film, écriture. Je suis allé en artistique au collège, mais Irrité par ce que disait un jury aux Beaux-Arts, j’ai tout brûlé et j’ai voulu défendre la veuve et l’orphelin. Après une année de droit, j’ai décidé de devenir comédien. Je me suis formé sur le tas".

    Pendant 25 ans, Pierandré n’a jamais eu idée d’incarner un personnage féminin. "Greta je ne l’ai pas choisie. Elle a vu le jour par hasard en 1994 lors d’un Bal des sorcières à l’Usine. Comme je n’avais pas l’intention d’apparaître en sorcier, j’avais demandé au maquilleur de dessiner un personnage tout en oeil et en bouche. Quand il  m’est apparu dans le miroir, j’ai vu mon âme. Greta existait, elle devait rester".

    "Un personnage évadé d’un mauvais roman"

    Pour son "géniteur", Greta est une vamp cosmique, une demi-sirène femelle. «Ni une femme, ni un travesti de moi, ni une drag queen. Difficile à cerner, évoluant en permanence, elle s’est évadée  d’un mauvais roman ou d’une toile de maître pour devenir  une comète tournant autour de la terre, une fée qui observe les humains, leur parle avec bienveillance et distance».

    Bien que les propositions fusent des deux côtés, Greta demeure chaste. "Son côté iconique la rend asexuée. Elle casse les codes du genre. Je l’utilise pour attirer l’attention, mais d d’une autre façon. Si Greta couchait, elle ne serait plus. C’est inenvisageable et, de plus, un jeu malsain".

    On pourrait penser que Pierandré se cache derrière sa créature pour se permettre  des choses qu’il n’oserait pas. Mais non. "C’est une figure autonome dont le monde est la scène. Elle fait  à peu près ce que je fais. Paradoxalement, elle m’a apporté une certaine masculinité .Je suis très fleur bleue, avec une tendance à me mettre en retrait".

    De même, on imagine qu’elle est envahissante. Là encore, on se trompe. "C’est une  muse. Elle me stimule, dessine, chante, fait des films. Ce qui est sûr, c’est que je n’aimerais pas être elle au quotidien. C’est beaucoup trop fatigant. Dans ma vie, comme je suis un hyperactif,  elle prend la place que le temps me laisse hors de mes projets. En outre, elle n’intervient aucunement dans mes relations avec les gens. Elle s’absente parfois des mois car je n’ai rien à lui proposer".

    A travers Greta, Pierandré Boo  nous transmet quelque chose d’important. "La différence est fondamentale.  On  peut ne pas être d’accord, on n’a pas à se conformer à ce que le monde veut que nous soyons. Je défends également la beauté". Greta a d’ailleurs encore beaucoup à prouver. On la retrouvera notamment du 21 février au 3 mars au Galpon dans Venus Vocero aux côtés de Loulou, Agnès Martin-Sollien et Sophie Solo, quatre divas venues rendre hommage à la divinissime dont on apprend, au fil des voix l’incroyable vie.

    Séverine Barde est fascinée par l’incarnation

    bardesev.jpgLa réalisatrice connaît Pierandré Boo depuis longtemps et a obtenu toute sa confiance pour réaliser son documentaire, qui a mis dix ans à voir le jour. "Quand j’ai rencontré Greta, à la fin des années 90, j’ai été captivée et surprise par le personnage. J’ai mis du temps pour l’approcher. Je me demandais  d’où  venait cette âme qui prenait celle de mon ami. Au tout début, j’avais fabriqué un miroir sans tain pour filmer discrètement le moment de sa transformation en Greta. Il se maquillait tout naturellement devant la glace, sauf qu’il plongeait son regard dans la caméra".
     
    "J’ai une fascination pour l’incarnation", explique la cinéaste genevoise. "Au départ, je m’intéressais au moment où l’acteur devient un personnage et j’enquêtais sur cette capacité à se métamorphoser auprès de comédiens. Et puis, à force de  fréquenter Greta, je me suis dit qu’il y avait vraiment un truc à faire et c’est elle qui est devenu le sujet unique. Mon but, c’est surtout  de la regarder vivre, poser les questions  de cette existence et ce qu’elle nous raconte de nous. Je témoigne de sa polyvalence en la montrant sur une scène, au milieu de sa cour lors des T dansants, ou dans la rue quand elle manifeste".
     
    Pour elle, Greta est la personnification d’un imaginaire, quelqu’un qui ose, par son extravagance, la singularité, le farfelu, être ce qu’elle est au milieu des autres. "Je l’observe, je la scrute et je trouve que dans le fond, elle n’est pas très différente de vous et moi. Nous sommes tous un mélange de genres".

    A découvrir en avant-première aux Scala, à Genève, le 5 février. Première romande le 6 février à Lausanne et sortie ce même jour dans le reste de la Suisse romande.

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  • Grand écran: "Si Beale Street pouvait parler": l'amour, un bouclier contre la discrimination et l'injustice

    original-cin_ifbealestreetcouldtalk_thumb_1600x900.jpgTriplement oscarisé il y a deux ans pour son magnifique Moonlight, Barry Jenkins revient avec une histoire d’amour, Si Beale Street pouvait parler. Elle se déroule à Harlem, dans les années 70. Amoureux depuis toujours, Tish (Kiki Layne) et Fonny (Stephan James) envisagent de se marier. Alors qu'ils s'apprêtent à avoir un enfant, le jeune homme, victime d'une erreur judiciaire, est arrêté et emprisonné. Avec l'aide de sa famille, la sage, gracile mais déterminée Tish lutte pour prouver l'innocence de Fonny et le faire libérer.

    Le film s'inspire d’un roman éponyme de James Baldwin, l’auteur préféré du réalisateur qui le lui a dédié. Publié en 1974, l'ouvrage avait déjà donné lieu, en 1998, à une libre adaptation intitulée A la place du coeur par Robert Guédiguian. On y retrouvait un couple mixte en zone marseillaise.

    Tout en décrivant cet amour absolu et universel s’élevant contre la haine, l’inhumanité, l’injustice, Fonny étant donné d’emblée comme innocent, Barry Jenkins dénonce évidemment, faisant ainsi écho à l’actualité, la discrimination destructive, l’ostracisme dont sont victimes les Afro-Américains.

    Il y a de la poésie, de la grâce, de la sensibilité et du charme dans ce film au récit déstructuré et composé de flashbacks. Follement romanesque, formellement réussi et profondément émouvant, il est vu à travers le regard de Tish, qui en assure la voix off.

    Pourtant, il séduit moins que Moonlight. Les comédiens sont certes excellents mais aussi trop beaux, incarnant des personnages trop purs, trop propres, trop parfaits, évoluant presque, selon un critique, comme dans un film de Jacques Demy.

    Par ailleurs au-delà de quelques scènes caricaturales, on peut reprocher au réalisateur de trop privilégier l’esthétique au combat de son héroïne, à la passion ardente censée animer le couple, à la violence qui s’exerce contre lui, ce qui contribue à donner une certaine vision aseptisée, voire parfois superficielle à l’ensemble. Barry Jenkins n'en prétend pas moins à l'Oscar de la meilleure adaptation. 

    A l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 30 janvier.

     

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