Mettre l’homme au centre de la 71 e édition. Mission accomplie en ce qui concerne le choix du nouveau documentaire du Français Nicolas Philibert, De chaque instant, présenté hors compétition. L’auteur du célèbre Etre et avoir (2002), tourné dans une école à classe unique en milieu rural, était de retour à Locarno 22 ans après La moindre des choses.
Le réalisateur a décidé de suivre, sur trois ans, les élèves d’un institut de formation en soins infirmiers. Filles (une grande majorité) et garçons vont partager leur temps entre cours théoriques, exercices pratiques et stages sur le terrain. Un parcours difficile et intense qui leur permettra d’acquérir un grand nombre de connaissances, de maîtriser les gestes cruciaux, tout en se préparant à endosser de lourdes responsabilités.
Souvent très jeunes, ils sont confrontés tôt à la fragilité humaine, aux fêlures des corps et des âmes, à la souffrance, à la maladie, à la mort. C’est ce que retrace l’opus divisé en trois parties. Chacune d’entre elles a une tonalité différente, la troisième rassemblant les témoignages des stagiaires qui expriment leur ressenti aux formateurs. Un film instructif, émouvant, non dénué d'un certain humour, qui vous laisse découvrir, en même temps que les protagonistes, le stress, les tensions, la réalité économique, la multiplication des tâches, l’obligation du rendement.
Nicolas Philibert pensait traiter ce sujet depuis quelque temps. «Et puis j’ai fait une embolie en 2016, qui m’a expédié aux urgences et aux soins intensifs. Ce fut le déclic et ma volonté de rendre hommage à ce métier discrédité, déconsidéré, méprisé, mal payé, à des jeunes ou moins jeunes engagés, mobilisés. Un besoin de dire qu’il y a un savoir infirmier comme il y a un savoir médical. Et que ce n’est pas le même».
-Là encore, vous avez choisi de vous focaliser sur l’apprentissage.
-Effectivement. Les personnes en situation d’apprendre font un chemin vers l’inconnu. Du point de vue dramaturgique, cela donne des situations plus riches. Voir les élèves tâtonner, se tromper, recommencer provoque de l’émotion. Cela exige du courage de franchir les étapes, les obstacles, de se remotiver pour réussir. Avec ceux qui savent, on ne perçoit pas tout ce que les gestes exigent de pratique pour arriver à la précision, à la fluidité. Cela permet aussi de filmer le désir. Celui de s’élever, d’acquérir un savoir, de passer son diplôme.
-Vous prônez le collectif, le brassage.
-Le collectif est en effet très commun à mes films. J’aime le « nous ». Au début du projet, certains espéraient que je me cantonne à trois ou quatre étudiants. Mais comment aurais-je pu opérer une sélection, alors qu’ils étaient 270? C’était beaucoup trop restrictif et je n’ai pas voulu. Par ailleurs, la mixité était primordiale. J’avais envie de montrer une France contemporaine, métissée, hétérogène. Qu’il s’agisse de couleur de peau, de milieu social et d’âge. Je me sens aussi très concerné par le rapport aux autres. Ce qui nous conduit à penser, c’est l’altérité. L’identique nous empêche d’avancer.
-Avez-vous eu des difficultés à persuader les patients d’être filmés?
-Au contraire. Je leur ai expliqué le pourquoi de la chose et presque tous ont accepté. Je n’ai pas cherché à leur faire oublier la caméra. Mon but était d’être accepté. Du coup, ils sont complices. Ils jouent avec moi. Mais sans faire un numéro.
-Votre perception du métier, votre regard sur lui a-t-il changé ?
Un peu. Je ne pensais pas que cette profession exigeait autant de connaissances techniques, de responsabilités, sans oublier l'importance de la relation entre soignant et patient. Et pourtant cette dimension est malmenée, les hôpitaux devenant des usines à soins.
-Les élèves et les formateurs se sont-ils vus à l’écran? Comment ont-ils réagi?
Ils se sont reconnus, retrouvés à la fois dans leur parole et celle des autres. C’est un peu devenu leur film, derrière lequel le monde infirmier est en train de se mobiliser.
Projections sous les étoiles et sur l’un des plus grands écrans du monde, Compétition internationale, Rétrospective McCarey, Cinéastes du présent, Léopards de demain, Semaine de la critique, Hommages... Dès mercredi 1er août, le Festival de Locarno propose à son habitude un menu copieux pour sa 71e édition, qui a mis l’homme en son centre. En collaboration avec les Nations-Unies, le cinéma célèbre en effet par ailleurs les 70 ans de la Déclaration universelle des Droits de l’homme.
Outre avec l’irrésistible pamphlet de Spike Lee (photo), on ne va pas s’ennuyer sur la Piazza Grande, où on pourra voir 17 longs-métrages. Après Liberty, un court de McCarey avec Laurel et Hardy en ouverture, le Français Vianney Lebasque propose Les beaux esprits, évoquant de vrais joueurs de basket qui prétendent être handicapés mentaux pour participer aux Jeux Paralympiques de Sydney.
Si le cru 2017 a été riche en célébrités, en hommages à de grands artistes disparus dont Jeanne Moreau ou, selon le directeur artistique Carlo Chatrian, en beaucoup de films qui ont fait salle comble, il ne restera pas dans les annales côté compétition.
On reste en France avec un prix d’interprétation convenu, décerné à Isabelle Huppert. Excentrique et timide professeure de physique dans Madame Hyde de Serge Bozon, elle change de personnalité après avoir été foudroyée durant un nuit d’orage.