La grande foule de la Piazza suit Benoît Jacquot au fond des fois
Ouverture mercredi soir sur la Piazza Grande du 63e Festival de Locarno, avec «Au fond des bois» de Benoît Jacquot et en présence de Doris Leuthard. Une première pour un président de la Confédération. En l’occurrence une présidente qui, paraît-il, n’est pas restée longtemps. Mais peu importe…
Le nouveau directeur Olivier Père n’avait pas choisi la facilité en misant sur le cinéaste français. Son film en costumes nous plonge dans le Midi de la France en 1865. Il raconte l’étrange périple de l’évanescente Joséphine, beauté blonde de bonne famille envoûtée et violée par Timothée (Nahuel Perez Biscayart), un vagabond de passage pouilleux aux dents gâtées, qui exécute de curieux tours de magie.
Sous son emprise, bien qu’il la dégoûte et l’effraie, Joséphine le suit dans les bois où il continue à abuser d’elle jusqu’à ce qu’il soit arrêté et traduit en justice. Ce film signe la quatrième collaboration entre Benoît Jacquot et Isild Le Besco, excellente dans le rôle et qui sera par ailleurs prétendante au Léopard d’Or avec son propre long-métrage «Bas-Fonds». On aura l’occasion d’en reparler.
«Au fond des bois» tire son origine d’un authentique fait divers paru dans «Libération», nous révèle Benoît Jacquot, rencontré à Locarno. «Je suis tombé par hasard sur une chronique tenue par une historienne de droit, qui exposait chaque semaine un cas qui avait fait jusrisprudence. Celui-ci a donné lieu à ce qu’on a appelé un crime d’emprise mentale. Il m’a branché immédiatement. J’ai vu tout de suite ce que j'allais faire. Les scènes se déroulaient sous mes yeux. Et à partir de cette chronique, j’ai eu accès aux archives du procès, pour étoffer mon intrigue».
-Une drôle d’histoire où se mêlent le sentiment amoureux, la passion, l’érotisme, le fantastique, le drame historique, le tout largement pimenté de sado-masochisme.
-On peut le dire. Qui fait souffrir, qui subit, qui consent, qui aime, qui domine? Au bout du compte, les choses se résolvent dans une sorte de lien inoubliable, avec la naissance d’un bébé. Mais ça, c’est de la fiction.
-A l’occasion du procès, Joséphine insiste sur l’envoûtement dont elle a été victime, notamment pour se protéger. De son côté Timothée lui donne raison, ce qui renforce son pouvoir. Mais qu’en est-il réellement de cette léthargie hypnotique ?
-Au départ, Joséphine a besoin d’affirmer qu’elle a été envoûtée. Puis elle arrive à un point où elle décide de faire ce qu’elle veut. C’est d’une ambiguïté totale, celle de tout un chacun, qui se manifeste le plus fortement dans la passion amoureuse. Il s’agit aussi du portrait d’une jeune femme apprenant d’elle-même ce qu’elle connaît déjà. Dans cette histoire que j’ai réinventée, elle s’est fait faire un enfant à l’œil, si j’ose dire. Et son mari ne la touchera jamais.
-A ce propos, lors de «L’intouchable», vous disiez qu’il s’agissait d’une sorte de rapt d’Isild, pour l’emmener en Inde. Y a-t-il un rapport? Parce qu’en somme il existe une forme d’enlèvement dans «Au fond des bois».
-Maintenant que vous m’y faites penser, l’enlèvement me mobilise dans tous les sens du terme. S’échapper, partir, sortir de soi-même, ça me fascine. C’est à la fois romantique et érotique. Un fantasme féminin quasi universel. Toutes les femmes rêvent d’être enlevées…
-Quelle place pour ce dernier-né dans votre filmographie?
-Particulière. Il est très proche, très personnel. Sur les dix-huit que j’ai réalisés, il appartient aux deux ou trois que j’avais absolument besoin de tourner. J’aurais souffert si je n’avais pas pu, car c’est l’un de ceux auquel je tiens le plus jusqu’à présent
-C’est également le quatrième avec Isild Le Besco. L’une de vos actrices fétiches, comme Isabelle Huppert.
-Effectivement. Mais il se peut que ce soit le dernier. Pourquoi ? Parce que c’est comme ça. Je crois que nous avons fait le tour tous les deux.
-Et avec Isabelle Huppert ?
-Non, il y en aura d’autres. Ce n’est pas du tout pareil. Isabelle et moi sommes comme frère et sœur. On vit une espèce d’inceste.