Je suis déçue. Forcément. Ma Palme c’était Carol, Mais bon, ce n’est pas trop grave! Ce qui l’est davantage, c’est le choix absurde du jury. Il y a comme un défaut à décerner l’or à Jacques Audiard (photo AFP) pour Dheepan et le Grand Prix à Lazslo Nemes pour Le fils de Saul. Alors qu’à l’évidence c’eût dû pour le moins être l'inverse.
Certes si les qualités de son film permettaient à Audiard de figurer dans un coin du palmarès, il y a un monde entre sa proposition convenue de chronique socio-politique virant au film de genre sur le parcours d’un émigré tamoul en compagnie de sa famille recomposée, et celle extraordinairement puissante, inédite, radicale, à l’esthétique sépulcrale du Hongrois Nemes qui nous plonge sans complaisance au cœur de l’enfer d’Auschwitz.
La part du lion pour le cinéma français
Absurde aussi cette décision de remettre un double prix d’interprétation féminine récompensant Emmanuelle Bercot, avocate éperdument amoureuse dans Mon roi, le film hystérique et bobo de Maïwenn, et Rooney Mara, la jeune vendeuse succombant au charme sulfureux de la sublime Cate Blanchett dans Carol. Pourquoi ne pas l’attribuer aux deux héroïnes de Todd Haynes ?
En revanche je suis particulièrement heureuse de voir un très grand Vincent Lindon ému aux lames, sacré meilleur acteur pour son rôle de vigile dans La loi du marché de Stéphane Brizé. A noter qu’avec ces trois médailles majeures, la pellicule hexagonale se taille la part du lion dans ce palmarès. Vous avez dit bizarre?
Pour le reste, à part le prix du scénario curieusement attribué à Chronic du Mexicain Michel Franco, évoquant un aide-soignant qui noue des liens serrés avec ses patients en phase terminale, les autres sont logiques. Yorgos Lanthimos rafle justement celui du jury pour The Lobster et Hou Hsiao-Hsien celui de la mise en scène pour The Assassin.
Avec des célibataires menacés d’être changés en animaux faute de trouver l’âme sœur en 45 jours, le cjnéaste grec proposait le film le plus délirant de la compétition. Et son homologue chinois le plus magnifique visuellement. Mais quelque part, ce n’est pas très enthousiasmant.
Une édition un poil vilipendée
Quelques critiques n'hésitaient d’ailleurs pas à tirer à boulets rouges sur ce cru 2015, à la fois placé sous le signe de l'amour et du politico-social. Exagéré vu qu’il n’est pas très différent des autres années avec le nombre habituel de métrages sortant du lot. Différence peut-être, il y en avait davantage de médiocres sinon de mauvais que d’ordinaire. A commencer par Gus Van Van Sant et son Sea Of Trees.
Sans oublier les Tricolores. Sur les cinq en lice pour la Palme, trois ne le méritaient pas: Mon roi de Maïwenn, nonobstant le prix d’interprétation à Emmanuelle Bercot, Marguerite et Julien de Valérie Donzelli. Et surtout The Valley Of Love de Guillaume Nicloux sombrant carrément dans le grotesque avec ce rendez-vous d‘outre-tombe dans la vallée de la mort, sur fond de pliants et de parasols emmenés par les deux héros.
Certains estiment pourtant que la simple réunion du tandem mythique Isabelle Huppert/Gérard Depardieu 35 ans après Loulou de Maurice Pialat était largement suffisante. Faux ne leur en déplaise, car elle a privé de sélection deux excellents représentants de la pellicule hexagonale Philippe Garrel avec L’ombre des femmes et Arnaud Depleschin, l’auteur de Trois souvenirs de ma jeunesse. Pour les voir, il fallait courir à la Quinzaine des réalisateurs. Du coup, avec quelques œuvres du même tonneau, elle s’est révélée presque plus prestigieuse que le concours officie...
Retrouvez toutes mes chroniques du festival avec Cannes dans Chassé-Croisette.
Et voilà, les jeux sont faits pour cette 68e édition. Aux présidents Coen et à ses jurés (photo) de se mettre d’accord pour désigner la crème de la crème parmi les 19 films en compétition. Quelques mots sur les derniers proposés, dont Chronic du Mexicain Michel Franco qui suit David (Tim Roth), un aide-soignant bizarroïde, travaillant auprès de malades en phase terminale.
"Carol", ma Palme d’Or
A quelques bémols près, critiques enthousiastes et ovation publique pour Jacques Audiard, en compétition avec Dheepan, un sujet dans l’air du temps sur l'immigration mais qui "n’est pas une déclaration politique", selon son auteur. Un ancien soldat tamoul, une jeune femme et une fillette de 9 ans qui ne se connaissent pas récupèrent les passeports de morts pour fuir la guerre civile au Sri Lanka et se font passer pour une famille dans l’espoir de gagner l’Europe.
Isabelle Huppert et Gérard Depardieu dans "Valley Of Love"
Pour les images sublimes, on se tournera résolument vers The Assassin du Chinois Hou Hsiao-Hsien, auteur majeur qui revient après huit ans d’absence. Visuellement, ce film d’arts martiaux pas comme les autres est indiscutablement le plus beau du concours.