Gilles Jacob ovationné, le prodige de 25 ans Xavier Dolan en larmes, Jean-Luc Godard primé pour la première fois, Timbuktu tristement ignoré, tout comme Marion Cotillard négligée pour la troisième fois et les frères Dardenne repartis les mains vides, une première pour eux qui visaient une troisième Palme d’Or avec Deux jours, une nuit…
Mais Jane Campion et ses huit complices en ont décidé autrement au cours d’une cérémonie animée par le pétulant Lambert Wilson. Ils ont décerné la médaille suprême à un habitué de la Croisette, le Turc Nuri Bilge Ceylan, déjà lauréat de deux Grand Prix, pour Winter Sleep. Film le plus long de la compétition avec ses 3h16, ce huis-clos psychologique se déroule en hiver dans l’hôtel quasiment désert d’un petit village d’Anatolie centrale.
Aydin, un ancien acteur médiocre mais arrogant d’une soixantaine d’années, y habite avec sa jeune femme et sa sœur divorcée, qui vont peu à peu briser l’image d’intellectuel dont il se targue. L’auteur a aussitôt dédié sa Palme à la jeunesse turque, « à celles et à ceux qui ont perdu la vie au cours de l’année ».
Si la Palme d’Or, coïncidant avec les 100 ans du cinéma turc, distingue logiquement un maître du septième art, figurant de surcroît parmi les favoris des critiques, la grosse surprise est venue de la cinéaste italienne de 32 ans Alice Rohrwacher, qui rafle le Grand Prix du jury pour Les merveilles. Plus que fraîchement accueilli lors de sa projection, l’opus raconte comment l’irruption d’un jeune délinquant et d’un show télévisé bouleverse l’existence d’un couple d’apiculteurs en quête de pureté et vivant avec ses quatre filles en marge de la société.
Juliane Moore et Timothy Spall sacrés
Pour le Prix d’interprétation on pensait plutô
t à Marion Cotillard ou Anne Dorval, à notre avis mieux inspirées. Mais Juliane Moore s’est imposée. Elle avait également la cote en starlette sur le déclin, hystérique et névrosée dans Maps To The Stars du Canadien David Cronenberg.
Pareil chez les hommes où, face à nos préférés Gaspard Ulliel ou la révélation Antoine-Olivier Pilon, le Britannique Timothy Spall l’a emporté pour son rôle dans Mr Turner de Mike Leigh. Le comédien aux anges s’est alors permis un discours aussi interminable qu’ennuyeux en hommage à son réalisateur.
L’émotion de Xavier Dolan
Il avait provoqué le buzz et tout le monde le voyait cousu d’or pour Mommy, où une mère veuve décide de se charger de son fils Steve, un ado ingérable et violent. Il n’a récolté « qu’un » Prix du jury. Ce qui n’a pas empêché le petit génie québécois, éperdu de gratitude, de manifester une intense émotion, finissant en larmes. «Tout est possible à qui ose, travaille et n’abandonne jamais. Puisse ce prix en être la preuve la plus rayonnante… »
Benjamin de la compétition, Dolan partage son prix avec le vétéran Jean-Luc Godard, 83 ans, récompensé pour la première fois à Cannes avec Adieu au langage, une véritable curiosité en 3D. Le choix du jury paraît bizarre. Un euphémisme. Pour la légende de la Nouvelle Vague, c’était Palme d’Or ou rien. On ne sait pas trop comment le réalisateur franco-suisse accueillera la chose. Sans doute avec indifférence.
Restent le Prix de la mise en scène et du scénario. Foxcatcher de l’Américain Bennett Miller, inspiré de l’histoire vraie de deux lutteurs médaillés d’or aux JO de Los Angeles, a décroché le premier. Le Russe Andrey Zvyagintsev, qui se livre à une critique implacable du régime, a gagné le second pour Leviathan. S’y prenant à trois reprises, Jane Campion n’a jamais réussi à prononcer le nom du cinéaste…
Un mot encore sur la Caméra d’Or, qui couronne le meilleur premier film toutes sections confondues. Le trio Marie Amachukeli, Claire Burger et Samuel Theis l’a emporté avec Party Girl, mettant un peu de baume sur l'honneur un rien meurtri de l’Hexagone. Ce prix a été créé par Gilles Jacob à qui la salle a réservé une standing ovation pour son départ après 38 ans de direction et de présidence du festival. «Remettre ce prix est la meilleure façon de passer la main » a-t-il déclaré en tirant sa révérence avec élégance. Pierre Lescure dirigera désormais les opérations.
Marion Cotillard. La Française est bouleversante dans Deux jours, une nuit des frères Dardenne. Métamorphosée en ouvrière dépressive dans une petite usine belge, elle passe un week-end épuisant, avec l’aide de son mari, pour tenter de convaincre ses collègues de ne pas céder au chantage du patron. Prenant son courage à deux mains elle leur demande de renoncer à leur prime de 1000 euros pour lui éviter d’être licenciée.
Antoine-Olivier Pilon. Donnant la réplique à Anne Dorval dans Mommy de Xavier Dolan, il est à 16 ans la grande révélation masculine du festival. Extraordinaire dans le rôle de Steve (voir ci-dessus), il campait l’an dernier l’ado torturé de College Boy, le clip d’Indochine réalisé par le cinéaste québecois.
C'en est terminé pour cette 67e compétition cannoise qui ne fut pas d’un cru exceptionnel. D’où la difficulté de parier avec une quasi certitude sur la Palme d’Or. Car même si Mommy de Xavier Dolan a électrisé la Croisette, le courant n’est pas aussi fort que celui qui avait irrésistiblement emporté La vie d’Adèle vers les sommets l’an passé.
A l’image d’autres opus en concours, Sils Maria, qui mêle références nietzschéennes, rapport au passé et réflexion sur l’âge, divise fortement la Croisette. Ceux qui ont aimé et crient à la Palme d’Or évoquent un excellent scénario tandis que les détracteurs de l’opus avouent s’être ennuyés comme des rats morts. Comme souvent dans ces cas là, la vérité sse situe quelque part au milieu. .
Il y trouve un pays certes indépendant mais où ceux qui croient en une révolution politico-sociale se heurtent à l’Eglise et aux pontes locaux. En dépit de la pruderie ambiante, Jimmy décide la réouverture d’un dancing à vocation éducative et culturelle qui déplaît fortement aux autorités précitées.