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La griffe du léopard - Page 5

  • Festival de Locarno: Le Léopard d'or à "Regra 34" de la Brésilienne Julia Murat

    Rien ne change à Locarno où, quasi systématiquement, le jury distingue une œuvre que de nombreux critiques n'auraient  jamais imaginé voir au palmarès. C’est à nouveau le cas. Le président Michel Merkt et ses complices ont décerné le Léopard d’or de cette 75e édition à Regra 34, troisième long métrage de de la Brésilienne Julia Murat. 

    Il s’agit dune «œuvre audacieuse et politique qui enverra un signal important. Le corps est politique", a relevé Giona Nazzaro, le directeur artistique. On cherche tout cela sans vraiment le trouver dans Regra 34, où Simone, étudiante en droit, lutte contre les violences faites aux femmes, notamment liées à la prostitution. Tandis qu’elle débat du sujet à la fac sur le plan juridique et moral, elle tente, chez elle, de comprendre les mécanismes de la violence et du sexe, en se transformant en "cam girl".

    De son côté le tout aussi improbable Gigi la legge de l’Italien, Alessandro  Comodin, huis-clos se déroulant dans une voiture de police avec son conducteur aussi lénifiant qu’agaçant, rafle le Prix spécial du jury.  Quant à la réalisatrice costaricaine Valentina Maurel, elle triple la mise avec Tengo Suenos Electricos (J’ai des rêves électriques), une relation père-fille de la classe moyenne urbaine "qui change des histoires de drogue dans les quartiers défavorisés". Elle décroche le Prix de la mise en scène et ceux de la meilleure interprétation pour ses protagonistes Daniela Marin Navarro et Reinaldo Amien Gutierrez. 

    On relèvera également une invraisemblable mention spéciale décernée au médiocre La nuit, tous les chats sont gris, du zurichois Valentin Merz. Sans commentaire.

    Mais fort heureusement le Festival de Locarno qui, selon les organisateurs, a connu une remarquable affluence, proposait bien d’autres choses à se mettre sous la rétine. Les critiques qui ont  suivi la compétition des Cinéastes du Présent estiment qu’une bonne partie des films tenaient la dragée haute, sinon davantage à ceux du concours international. A l’image de Svetlonoc, signé de la Tchèque Teresa Nvotova, qui remporte le Léopard d'or dans cette section.  

    Rétrospective Sirk très suivie 

    On a par ailleurs relevé de bonnes surprises sur la Piazza Grande, dont on vous a déjà parlé (voir nos articles précédents). Et bien sûr on n’oubliera pas, sous la direction de Bernard Eisenschitz et Roberto Turigliatto, la Rétrospective intégrale consacrée à Douglas Sirk, né Detlev Sierck. Particulièrement suivis par les festivaliers conquis, les métrages ont été en outre remarquablement présentés par des amoureux et spécialistes de l’auteur, nous racontant plein d’anecdotes. 

    Au-delà des flamboyants mélodrames connus de tous (Mirage de la vie. Tout ce que le ciel permet, Le secret magnifique, Le temps d’aimer et le temps de mourir, La ronde de l’aube, Ecrit sur du vent), ils nous ont fait découvrir des curiosités comme Accord final. Le maître n’aurait que supervisé la réalisation de cette comédie romantique franco-helvétique de 1938, signée Ignacy Rosenkranz.  

    Sauf que Sirk était constamment présent et qu’îl aurait simplement souhaité garder l’anonymat pour éviter tout litige avec ses producteurs allemands. Tourné sur les rives du Léman, montrant notamment Montreux et le Château de Chillon, Accord final annonce le style que le cinéaste développera durant sa période américaine.

    Le premier de ladite période c’est Le fou d’Hitler (Hitler’s Madman), 1942, récit fictif de l’assassinat de Reinhard Heydrich et du massacre de Lidice qui a suivi. Une vengeance terrible des Allemands, qui ont aussi complètement détruit le village. Le film présente John Carradine, terrifiant dans le rôle du monstrueux Heydrich. L’espace d’une scène, on aperçoit Ava Gardner…

    Dans Scandale à Paris (1946), son film préféré dit-il, Sirk adapte librement  les mémoires de Vidocq, célèbre brigand devenu chef de la police. Il collabore avec George Sanders, son acteur fétiche, dont il aime l’ironie, le cynisme, "J’ignore où va le monde et je m’en fiche", déclarait l’acteur … dont la force motrice était la paresse. Le comédien se révèle irrésistible, comme d’habitude. 

    On citera aussi Jenny, femme marquée (Shockproof), dont la fin a été réécrite car jugée trop rude. Libérée après cinq ans de prison pour meurtre, une jeune femme placée sous la tutelle du juge d’application des peines (qui en tombe fou ), ne rêve que de revoir son dangereux amant. Film noir de 1949, c’est l’esquisse des grands mélos de la décennie suivante.

    La Rétrospective sera au programme de la rentrée à la Cinémathèque suisse, avec la projection d’une quinzaine de films. 

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  • Festival de Locarno: "Annie Colère" prône la liberté des femmes et leur droit à l'avortement. Avec l'excellente Laure Calamy

    Avec ce qui se passe dans le monde, surtout le vertigineux retour en arrière sur la question aux Etats-Unis, les films traitant de l’avortement relèvent de la nécessité. A l’image d’Annie Colère, signé de la Française Blandine Lenoir, porté par l’excellente Laure Calamy et d’autres formidables protagonistes. Passionnant, bien documenté et mis en scène, c’est l’un des meilleurs longs métrages programmés sur la Piazza Grande.

    Il commence en février 1974. On suit Annie, ouvrière et mère de deux enfants, tombée accidentellement enceinte. Elle découvre alors le MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception), qui pratique gratuitement des interruptions de grossesse illégales mais non clandestines. Il a été créé en avril 1973, dix-huit mois précédant l’adoption du projet Veil dépénalisant l’avortement avant dix semaines. La loi sera promulguée en janvier de l’année suivante.

    La MLAC, où officient des médecins, comptait à l’époque 300 antennes sur tout le territoire français. Il est fondé sur le partage des savoirs, l’aide concrète apportée aux femmes, l’écoute de leur parole, la bienveillance, la tendresse à leur égard- Dans la bataille pour l’adoption de la loi sur l'avortement, Annie va trouver dans cette organisation unique un nouveau sens à sa vie.  

    La réalisatrice, qui a terminé le tournage il y a un an, a toujours été très attentive à ce qui se déroule sur le front de l’IVG- "Même en France, où 180 centres ont fermé depuis 20 ans- Il est impératif de ne pas lâcher la lutte. Sinon, on perdra nos droits ", nous confie-t-elle. Mais on vous en dira davantage sur le film, son auteure et sa principale interprète lors de la sortie dans les salles romandes cet automne. 

    Un huis-clos froid et austère

    Après un début très prometteur, la compétition a stagné avec des œuvres auteuristes un rien hermétiques, voire chochottes. Toutefois l’une d’elles nous a particulièrement séduit. Il ‘agit de Serviam: Ich will dienen, de l’Autrichienne Ruth Mader. Elle nous emmène dans un pensionnat catholique pour jeunes filles de bonnes familles qui, juste motivées par le côté élitiste de l’établissement, ne savent pas trop ce qui s’y passe. Et ne s’en préoccupent pas

    Parmi les pensionnaires on découvre le lot habituel de caractères divers, de Sabine la petite peste à Martha, pupille dévouée et exaltée qui souhaite expier les péchés du monde. Cette dernière est la préférée de la directrice, une jeune sœur qui lutte énergiquement contre le déclin de la foi et encourage l’adolescente à porter le cilice. La cinéaste propose un huis-clos froid, austère, radical, violent, d’une lenteur pesante, sur fond de souffrance rédemptrice. Très réussi.

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  • Festival de Locarno: "Une femme de notre temps" et "Last Dance", les improbables de la Piazza Grande

    Commissaire de police à Paris, tireuse émérite à l’arc, un sport qui a une grosse importance dans l’intrigue, Juliane Verbecke fait preuve d’une belle intégrité morale. Mais quand elle découvre la double vie de son mari, elle se comporte d’une manière qu’elle n’aurait jamais cru possible.

    Héroïne de ce drame projeté sur la Piazza Grande, Sophie Marceau, qu’on avait beaucoup aimée dans Tout s’est bien passé de François Ozon. On ne peut en dire autant de sa prestation devant la caméra de Jean-Paul Civeyrac, notamment auteur de Mon amie Victoria (2014), opus réussi adapté du roman de Doris Lessing. Mais qui s’égare également fâcheusement dans Une femme de notre temps, un titre bizarroîde de surcroît 
     
    "Il y a trois ans, nous explique le réalisateur à la conférence de presse, j’ai pensé à un personnage qui basculerait, à un monde qui s’effondrerait et à une prise de conscience. Tout cela reposant davantage sur la tension que sur les dialogues+.
     
    Quant à Sophie Marceau, elle évoque un caractère fascinant, qui lui parle par sa droiture, son  intensité, sa féminité rassurante. "Elle choisit de suivre son chemin, sa trajectoire, comme une flèche. Elle y va direct. Elle y met tout son corps, tout son coeur. Même si sa vie bascule, elle va jusqu’au bout. C’est ce que j’ai fait en l'incarnant"-

    Vu de cette façon, c’est plutôt engageant. Malheureusement entre un cinéaste peu inspiré et une comédienne inexpressive,en dépit de sa véritable profession de foi, le résultat est d’une platitude qui le dispute à l’incohérence. L’auteur nous sert le drame convenu, qui vire au comique intempestif, d’une femme trompée par son mari, un homme peu séduisant, mou et lâche, souffrant carrément le martyre d’être physiquement infidèle à une épouse qu’il prétend adorer. Et qui a par ailleurs eu une liaison avec la sœur de cette dernière, ce qui aurait provoqué son décès.  
     
    Désespérée en découvrant ces turpitudes, l’amoureuse trahie n’a plus qu’une idée en été, se venger. Si possible mortellement. Et de poursuivre, carquois à l’épaule bien garni de flèches, son conjoint veule et menteur jusqu’en Normandie, où il est parti roucouler avec sa maîtresse. L'ensemble pathétiquement noyé sous les violons.
     
    Bref, dans le genre soap on ne fait pas mieux, Ce n’est évidemment pas l’avis de son auteur qui dit même s’être référé, l’espace d’une scène, à Ecrit sur du vent de Douglas Sirk, Franchement osé pour un tel ratage! 
     
    François Berléand la joue danseur contemporain
     
    Dans le genre improbable, il y a aussi Last Dance, de la Neuchâteloise installée en Belgique. Delphine Lehericey. Elle nous raconte l’histoire de Germain, bienheureux retraité un peu fainéant et misanthrope de 75 ans (François Berléand), qui se retrouve soudainement veuf, après 50 ans d’une union fusionnelle avec Lise.
     
    Inquiète pour Germain qu'elle imagine dorénavant dangereusement livré à lui-même, sa famille s’invite dans son quotidien, se relayant pour organiser une surveillance pesante de chaque instant. Sous pression, le pauvre n’en peut plus. D’autant qu’il a un secret. Lise et lui s’étaient en effet promis que celui des deux qui resterait irait au bout du projet que l’autre avait commencé.
     
    Et c’est ainsi que Germain déboule dans le spectacle, mêlant amateurs et professionnels de la chorégraphe genevoise Maria La Ribot, pour remplacer sa femme. Comme la danse contemporaine est en principe accessible à n’importe qui, et qu’en plus on a du respect pour François Berléand (même s’li se contente le plus souvent de souffler fort pour manifester ses sentiments), on veut bien croire à son engagement immédiat dans la troupe.

    En revanche, que tout le show tourne désormais, tant La Ribot le trouve unique, autour de ce septuagénaire un rien ventripotent et qui n’a jamais esquissé le moindre pas de danse de sa vie, c'est trop. Et provoque des moments qui confinent au ridicule et à la caricature. Le public de la Piazza n’en a pas moins été conquis.       

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