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La griffe du léopard - Page 38

  • Encore un Chinois Léopard d'Or, mais ce n'est pas le bon...

    Tout étant toujours possible à Locarno, rien ne surprend jamais vraiment en ce qui concerne l’attribution du Léopard d’Or. Comme l’an dernier, il est  allé à un film chinois. En l’occurrence Winter Vacation de LI Hongq’i, qui suit quatre ados désoeuvrés  façon mollusques, profitant de leur dernier jour de vacances pour se retrouver et traîner. Il ne se passe rien, ils ne discutent de rien ou presque,  font parfois mine de se quereller, histoire de s’échauffer vaguement, puis retombent dans leur état plus ou moins léthargique.

     Les jurés lui ont-ils décerné la palme parce qu’ils trouvaient qu’il s’agissait, comme lu dans le  journal du Festival, de la comédie du cru la plus drôle jamais réalisée ? Si c’est le cas une chose est sûre. Nous n’avons pas franchement le même sens de l’ humour.

     Des médailles en chocolat
    Au point que je leur reproche vivement d’avoir raté le coche et du coup le bon Chinois, en oubliant dans leur palmarès Karamay, le monumental , puissant et poignant documentaire de  six heures de XU Xin. L’auteur revient, rappelons-le, sur une terrible tragédie scandaleusement enterrée par les autorités et qui avait causé, le 8 décembre 1994, la mort de 323 personnes dont 288 enfants. (Voir chronique du 13 août). Non reconnu à sa juste valeur,  XU Xin devra se consolera avec le prix FIPRESCI, celui des jeunes et autres mentions spéciales.

    Tandis que notre deuxième préféré Womb, du cinéaste hongrois  Benedek Fliegauf et traitant du délicat problème clonage, mordait également la poussière, le prix spécial du jury a récompensé Morgen, de Marian Crisan. Le Roumain se penche sur les migrants sans papiers qui tentent de passer en Hongrie, avant de gagner d’autres pays d’Europe.

     Curling du Canadien Denis Côté, évoquant l’étrange rapport au monde d’un père et de sa fille de douze ans, a raflé le prix de la mise en scène. Dans la foulée son acteur principal, Emmanuel Bilodeau, était sacré meilleur acteur, tandis que la comédienne serbe Jasna Duricic remportait le pardo de l’interprétation féminine pour son rôle dans Beli beli svet (A White White World).

     Le sexe n’a pas fait recette
    Bref, un palmarès classique pour une 63e édition qui se voulait provocante. Mais le sexe, voire le cul, n’a pas fait recette. Bruce LaBruce est reparti  les mains vides avec son zombie neurasthénique à la queue thérapeutique, alias François Sagat. Dont les biscotos en acier et les abdos en bétons, sans compter la taille du reste, n'ont pas non plus aidé Christophe Honoré à séduire avec Homme au bain. A l’image d’Isild Le Besco et la médiocre virée salement meurtrière de son trio lesbien dans Bas-Fonds.

    Pour résumer, une compétition 2010 bien peu convaincante. Ce qui n’a rien d’étonnant en soi, le concours n’étant en général pas le point fort de Locarno. Sauf qu’on nous avait annoncé un changement d'enfer avec le retour aux racines d’Olivier Père. Mais encore fallait-il que celles-ci produisent  de beaux arbres. Preuve que la radicalité, maître mot ici pour qualifier la sélection du nouveau directeur, n’est pas forcément synonyme de talent.

    En ce qui concerne la Piazza, il n’y eut guère qu’Au fond des Bois de Benoît Jacquot en ouverture et surtout Rubber, où Quentin Dupieux nous raconte les aventures extraordinaires d’un pneu tueur et amoureux d'une créature de rêve, pour nous faire  vibrer. Les spectateurs n’ont pas été beaucoup plus enthousiastes, une baisse de 5000 entrées ayant été enregistrée. Et la pluie venue perturber les derniers jours du festival est loin d’être la seule responsable.

    Merci Lubitsch
    Heureusement que la remarquable rétrospective Ernst Lubitsch a mis tout le monde d'accord. Des séances à guichets fermés pour (re)découvrir  le grand maître de la comédie l’ont amplement démontré. si vous en avez l'occasion, ne la manquez surtout pas à la Cinémathèque, qui l'accueille à Lausanne dès le 18 août.

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  • Les six heures de «Karamay» valent bien un Léopard d’Or

     

    «Six heures c’est trop, je ne tiendrais jamais, même avec un entracte»…  La longueur du documentaire du Chinois XU Xin rebute plus d’un festivalier, y compris les critiques. Du coup, ces derniers ne se sont pas bousculés au portillon pour la projection de presse, qui en a vu par ailleurs beaucoup ne cesser d’aller et venir dans la salle. Pourtant les six heures de Karamay pourraient mener son auteur tout droit au Léopard d’Or. Surtout face à des prétendants bien moins sérieux côté fiction.

     Son film en forme de réquisitoire, aussi puissant que bouleversant, revient sur une terrible tragédie qui s’est déroulée en Chine le 8 décembre 1994 à Karamay, une ville construite de toutes pièces il y a 50 ans, suite à la découverte de pétrole dans la région. Ce jour-là, huit cents professeurs et écoliers, ces derniers triés sur le volet, l’élite, la crème de leurs différentes classes, donnaient leur spectacle annuel de chant et de danse au Palais de l’amitié devant les représentants officiels de l’éducation, lorsque soudain la scène prit feu.

     Les élèves furent alors sommés de demeurer assis pour que les VIP locaux puissent sortir les premiers. Tous survécurent, tandis que 323 personnes périssaient dans les flammes, dont 288 enfants de 6 à 14 ans, piétinés, asphyxiés, brûlés. Mais immédiatement, le gouvernement s’employait à enterrer l’affaire, muselant les médias en censurant l’information.

     Professeur dans un collège à l’époque, Xu Xin avait malgré tout entendu parler de ce drame car des bruits circulaient. Treize ans plus tard, en 2007, il décidait de donner la parole aux parents des victimes. Leurs témoignages poignants en noir et blanc sont entrecoupés de vidéos en couleur de la catastrophe, de scènes du spectacle avant le déclenchement du feu, d’images télévisées édifiantes.

     Au fil de ce documentaire monumental, ceux qui, surmontant leur crainte de l’autorité, ont eu le courage de s’exprimer devant la caméra crient leur chagrin, leur impuissance, leur frustration, leur douleur qui ne s’apaise pas. Une souffrance qui va au contraire croissant au fur et à mesure de la progression du film. Mêlée de colère, de violente critique contre le gouvernement et le parti.

     Marqués à vie, se qualifiant parfois de personnes désormais  anormales et déséquilibrées,  ils veulent surtout savoir pourquoi leur enfant a perdu la vie. Poussés par une soif de justice, ils demandent la réouverture de l’enquête, une vraie punition pour les responsables et le droit au statut de martyrs pour les disparus.

     Car si au début ils ont cru à un déplorable accident, petit à petit  ils se sont rendu compte de ce qu’il y avait derrière: des manquements monstrueux et coupables à une sécurité  élémentaire. Evidents à tant de niveaux qu’un parent, dans un témoignage qui n’engage évidemment que lui, n’hésite pas à parler de crime prémédité. Fustigeant au passage le peuple chinois. «Nous sommes pauvres, ignorants et malades depuis longtemps. C’est notre tragédie. Nous sommes une race égoïste. Mieux vaut  une vie misérable qu’une mort honorable. Face au danger, nous nous révélons sous notre vrai jour… »

     Tout cela méritait bien un développement de six heures. Et encore le réalisateur pensait-il à 12 heures, un temps à son avis convenable pour un tel sujet. Il a finalement renoncé face aux coûts de production et aux problèmes de distribution.

    Précisons enfin, même si ce n'est pas une surprise, que Karamay est interdit en Chine. Quant à XU Xin, interrogé sur les pressions ou les menaces dont il aurait pu faire l'objet, il a déclaré ne pas avoir été inquiété pour l'instant.

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  • Entre compétition et Piazza, c'est la soupe à la grimace

     A mi-parcours, le festivalier renâcle. Et pour cause. En dépit de quelques éclats de grâce et de beauté, on navigue entre le cul et l’ennui à Locarno. Quand on n’a pas droit aux deux.

    Certes le sexe peut séduire. Par exemple chez Benoît Jacquot, qui a ouvert les feu sur la Piazza Grande avec Au fond des bois. Tombée sous l’emprise mentale d’un vagabond pouilleux une jeune file le suit dans la forêt où elle se fait violer. Mais le cinéaste évite la complaisance en surfant sur ce fait divers datant de 1865. En revanche, si Olivier Père garde le cap côté compétition, il s'est montré nettement plus hard avec le porno gay gore de Bruce LaBruce L.A. Zombie. Où une grotesque créature hypermoche sortie des eaux se mue en thérapeute de choc, baisant  frénétiquement des cadavres pour les ressusciter.

    En vedette donc, François Sagat, spécialiste du X. Apparemment conquis par les dons cinématographiques du monsieur, le nouveau boss n’a pas hésité à placer, toujours en concours, Homme au bain de Christophe Honoré. Permettant ainsi à l’acteur, bodybuilder aussi large que haut, d’exhiber également ses charmes dans ce film de garçons à la libido déchaînée, tourné entre la France et  New York. Ce qui n’a pas empêché Chiara Mastroianni de vouloir s’imposer dans l’histoire. Du coup elle joue les utilités. Sinon l’appât pour les spectateurs. A venir, pour équilibrer les choses, le troisième long métrage d’Isild Le Besco, Heroïne abusée chez Jacquot, l’égérie du réalisateur entraîne un trio lesbien dans les bas-fonds .

    Les neuf autres prétendants au Léopard d’Or vus jusqu’ici se montrent plus réservés sur la question, mais souvent tout aussi plombants  Autant dès lors, bien qu’ils ne méritent pas de mettre le fauve en cage, évoquer les deux ou trois qui émergent de la grisaille. A l’image de Womb du Hongrois Benedek Fliegauf, abordant avec intelligence l’épineux thème du clonage. On peut aussi parler de Im Alter von Ellen de l’Allemande Pia Marais, qui voit une femme en rupture chercher une nouvelle place dans la société.

    Ou pourquoi pas La petite chambre, des réalisatrices lausannoises Stéphanie Chuat et Véronique Reymond, qui ont eu la chance de travailler avec Michel Bouquet et dont on aura l’occasion de reparler. De son côté, le public  s’est paraît-il entiché de Pietro, de l'Italien Daniele Gaglianome. Son film nous raconte l’Italie berlusconienne sinistrée, à travers le quotidien sordide de deux frères banlieusards, dont l’un est attardé mental et l’autre drogué.

     Et ce n’est pas beaucoup moins indigeste, sur la Piazza. L’Islandaise Valdis Oskardottir nous a proposé une comédie noire aussi lourdingue qu’outrancière sur fond de crise économique, tandis que les Américains Mark et Jay Duplass sondaient les vilaines intentions de Cyrus, amoureux de sa maman et déterminé à lui pourrir sa relation avec son nouveau compagnon. De son côté le Français Cédric Anger a concocté L'avocat, un polar en forme de téléfilm, au casting d’enfer (Benoît Magimel, Gilbert Melki, Erica Caravaca) mais au scénario plus troué qu’un morceau d’Emmental. Et dire qu’il était journaliste aux Cahiers du cinéma !

    Bref, autant dire que ça ne rigole pas tous les jours à Locarno. Mais remarquez, à quelque chose malheur est toujours bon. Alors que la rétrospective Ernst Lubitsch peinait à démarrer, la salle affichait complet  dimanche. Dur, dur de régater avec Ninotchka.

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