Ils s’appellent Kessa, Eduardo, Oksana, Xin, Djenabou, Marko, Andromeda. Venus d’Irlande, du Brésil, de Tunisie, de Serbie, du Sénégal, de Chine, du Vénézuéla, de Mauritanie, ils débarquent dans l’Hexagone et sont réunis dans une classe d’accueil pour apprendre le français, important vecteur d'intégration, avant de rejoindre un école classique.
Pendant un an, Julie Bertuccelli a filmé avec sensibilité, honnêteté et respect, sans voix off ni commentaire, les échanges, les états d’âme, les conflits, les bonheurs, la solidarité, la curiosité de ces collégiens déracinés, aux âges délicats entre 11 à 15 ans. Cela donne une Cour de Babel en forme de leçon de vie, de parcours initiatique, d’ode à la différence, à la tolérance, au vivre ensemble, tout en prônant les vertus du métissage, de la mixité, du pluriculturalisme.
C’est un documentaire utile, instructif, émouvant, une chronique de l’immigration originale à l’image du devenir de nos sociétés, dans lequel l’auteur a pris l’option de l’unité de lieu et d’action en restant dans l’école. Elle ne suit pas les élèves chez eux pour éventuellement montrer leur cadre de vie. On découvre leurs proches au gré d’entretiens de ces derniers avec la prof pour discuter des progrès ou non des intéressés.
Un film né au hasard d’une rencontre
"Les problèmes des étrangers me tiennent à cœur", explique Julie Bertuccelli à qui l’on doit notamment Depuis qu Otar est parti, César du premier film ou encore The Tree, avec Charlotte Gainsbourg.
De passage à Genève, elle évoque cette Cour de Babel, née au hasard d’une rencontre au Festival du film scolaire où elle officiait comme jury. "J’en ai vu plein, dont celui, un vrai coup de cœur, de cette classe d’accueil destinée à favoriser l’intégration que j’ai découverte à cette occasion. Tout comme l’enseignante Brigitte Cervoni, une femme généreuse, très pédagogue et investie dans son travail" .
Avide de voir comment les choses se passaient, la cinéaste va la retrouver et, alors qu’elle pensait visiter d’autres classes du genre (il en existe notamment 800 à Paris), pour explorer un dispositif dont elle ignorait tout, elle tombe sous le charme de ces vingt-deux ados en provenance de vingt pays. Et décide de ne pas attendre pour poser sa caméra, à laquelle ses "protagonistes" se sont rapidement habitués. Elle tournera dans ce collège parisien pendant un an, entre 2011 et 2012, à raison de deux jours par semaine. Simplement accompagnée d’un ingénieur du son.
"Ce qui m’intéressait avant tout c’était de montrer l’être humain dans son rapport à l’autre", raconte Julie Bertucccelli. "Comment on perçoit et on s'arrange avec ceux qui viennent d’un pays, d’un milieu social différent, qui ne pratiquent pas la même religion, qui n'ont pas la même culture, le même parcours, les mêmes histoires, la même peau, qui ne parlent pas la même langue".
La réalisatrice et les élèves se sont mutuellement enrichis. "Je leur ai fait partager mes films , ma vision du monde, mes connaissances. Et eux m’ont appris le courage, la richesse de la différence, l’importance de l’écoute. Certes il y avait parfois des tensions, des batailles autour de certains sujets, mais cela ne les empêchait pas de beaucoup s'écouter les uns les autres, parlaient de leur vie d’avant, de leurs difficultés, de leurs espoirs et surtout de leur volonté de s’intégrer. Une belle réponse au scepticisme et aux discours nauséabonds".
Pour la cinéaste, La Cour de Babel n'a rien de militant. " J'ai préféré faire vivre une émotion. J'espère que cela va réconforter ceux qui travaillent dans le domaine. Et ce qui m'importe aujourd'hui, ce sont les écoles qui organiseront des projections".
Film à l'affiche dans les salles romandes dès mercredi 19 mars.