Dommage, le début promettait beaucoup. Pourtant, depuis qu’il est allé se promener Au fond des bois, Benoît Jacquot a de plus en plus tendance à s’égarer. Preuve en est son vingt-cinquième long métrage, Eva. Une faible et plate adaptation du roman de James Hadley Chase, classique de la Série noire paru en 1946 et déjà porté très librement à l’écran en 1962 par Joseph Losey. Jeanne Moreau y jouait le rôle principal.
Là, c’est Isabelle Huppert, la muse de Benoît Jacquot qui enfile le costume d’Eva pour une sixième collaboration avec le réalisateur après Les Ailes de la colombe en 1980, L’école de la chair et Pas de scandale en 1998, La fausse suivante l’année d’après et Villa Amalia en 2008. Pour lui donner la réplique Gaspard Ulliel (Bertrand), avec qui elle avait déjà tourné dans Un barrage contre le Pacifique.
L'auteur situe principalement son action à Annecy, mais c’est à Paris que se noue l'intrigue. Bertrand, un jeune gigolo, laisse cyniquement mourir un vieil auteur dramatique dans sa baignoire et en profite pour lui voler sa pièce. Le succès est immédiat, mais c’est une autre affaire, pour l’usurpateur, que de pondre la nouvelle que son éditeur (Richard Berry) lui réclame avec de plus en plus d’insistance.
Pour lui permettre de mieux se concentrer, sa petite amie lui prête le chalet de ses parents au-dessus d’Annecy. Il y rencontre bizarrement Eva. Prostituée vieillissante au visage lisse, elle va mener à sa perte le garçon qu’elle ne tarde pas à hanter, qui cherche à tout savoir sur elle et qui, pour la revoir, ne cesse de faire des allers et retours en train entre la province et la capitale. A cet égard, on espère que la SNCF a casqué un maximum...
Bref. Fasciné par le roman, marqué dans son adolescence par la version de Losey, Benoît Jacquot livre, entre lac et montagne, une histoire d’imposture sous forme d’un thriller mental tordu manquant de chair, au scénario erratique poussif. Et les comédiens peu convaincants ne contribuent pas franchement à faire décoller le film qui, par ailleurs, ne nous épargne pas des scènes frisant le ridicule.
Benoît Jacquot prétend brosser le portrait d'une héroïne animale, mystérieuse, perverse, dangereuse, sinon fatale. Mais, bottée et perruquée de noir, Isabelle Huppert se révèle, à l’inverse du personnage d’Elle qu’avait sublimé Paul Verhoeven, nettement plus nonchalante et paresseuse qu’érotique et sulfureuse. Objet du désir si peu obscur et tellement désincarné qu’on se demande comment il pu devenir l’obsession d’un Gaspard Ulliel, alias Bertrand, manipulateur manipulé aussi fade qu’antipathique.
A l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 7 mars.