Petite, Anja Kofmel admirait son ténébreux cousin Chris, correspondant de guerre. Sa mort mystérieuse en Croatie, en janvier 1992, d’abord imputée à une balle, puis à un étranglement suite à deux autopsies, l’occupe encore aujourd’hui, Car au moment de son décès, le journaliste suisse de 27 ans portait un l’uniforme d’un groupe international de mercenaires. Pourquoi ?
Devenue adulte, Anja décide de suivre son histoire. Et, avec Chris The Swiss, nous emmène à Zagreb, pour saisir la véritable implication du jeune homme dans un conflit manipulé par divers intérêts inavoués. Qui était-il vraiment? Un reporter infiltré, un aventurier fasciné par le danger, un individu ambigu engagé dans une milice pro-croate d’extrême droite ayant perpétré d’affreux crimes ?
Une passionnante enquête
Mêlant documentaire, images d'archives et dessins animés en noir et blanc d’une beauté sépulcrale touchant au cauchemar sublime, la réalisatrice se livre à une enquête passionnante doublée d’une réflexion sur les abominations de la guerre. Elle construit un film particulièrement original, personnel, d'une portée universelle.
En partant d'un deuil familial, elle élargit son propos au drame d'un conflit civil. Un voyage initiatique au cours duquel, équipée des carnets de son cousin rapatriés avec son corps, elle tente à la fois de percer les secrets de Christian Würtemberg et de reconstituer le quotidien dangereux des journalistes plongés dans un véritable bourbier. Donnant ainsi un éclairage inédit sur un profond traumatisme européen.
Pour quelles raisons avez-vous choisi un style hybride? L’animation est si prenante qu’on aurait souhaité les voir constituer l’œuvre entière.
J’aurais également bien voulu. Je viens de l’animation. Depuis que je suis enfant, je dessine. Tout le temps. C’est mon mode d’expression naturel. Mais ce n’était pas possible. D’une part pour une question d’argent et d’autre part, si l’animation peut beaucoup, elle ne peut pas tout quand on en vient aux dialogues, aux sentiments des personnes placées dans une certaine situation..
Quand avez-vous décidé de consacrer un film au parcours de votre cousin?
A peu près à l’âge où il est mort. Un peu plus tard. «J’ai commencé à comparer sa vie et la mienne. Nos réalités étaient si éloignées. J’étais intéressée, mais plus du tout admirative. Il a fait des choses très moches, tabous. Toutefois, en lisant son journal, je me suis rendu compte qu’il ne se voyait pas comme un mercenaire mais comme un journaliste. Pourtant il portait un uniforme et une arme.
A votre avis, pourquoi s’était-il engagé?
Ma théorie, c’est qu’il, s’est perdu lui-même à un certain moment, Il a notamment écrit ceci. "Je veux entendre, sentir, comprendre, survivre". Cela m’a beaucoup émue. Il ne savait plus comment s’en sortir. Pouvait-il redevenir à une vie normale ?
Pour autant, votre but n’est pas de le réhabiliter.
Pas du tout. Ses actes sont condamnables. Mais, sans l'excuser, peut-être lui ai-je donné une voix. Pour moi c’était très important de comprendre. Je me demande aussi pourquoi on n’arrive pas à se sortir de ces guerres, pourquoi on n’apprend jamais de l’histoire. Je sais que c’est naïf, mais je n’accepte pas cette fatalité de l’éternel recommencement. Même si je me sens impuissante
La complexité de votre sujet vous a sans doute obligée à d’innombrables recherches.
En effet. Ce fut un long processus. Je me suis énormément documentée, j’ai beaucoup lu et je me suis entourée de deux historiens, un Croate et un Suisse qui m’ont donné des conseils pour prouver que ce que je dis est vrai. Même dans l’animation, je parle de personnes qui existent et je dois être crédible. C’est le cas, selon des journalistes, des avocats, des soldats alors en guerre et qui me l’ont confirmé quand j’ai présenté le film à Sarajevo. C’est ma plus grande fierté.
A l'affiche dans les salles de Suisse romande depuis mercredi 19 septembre.