Trois ans après Leviathan, prix du scénario à Cannes, critique féroce contre la corruption gangrénant le système politique, le réalisateur russe Andreï Zviaguintsev se penche, dans Faute d’amour (prix du jury en mai dernier), sur une crise familiale qu’il dissèque avec la même dureté.
En instance de divorce, Boris et Genia, la quarantaine, ayant chacun une liaison, se déchirent sous les yeux de leur fils Aliocha, 12 ans, dont aucun ne souhaite la garde dans sa nouvelle vie. Sans se préoccuper des dégâts qu’ils peuvent causer à l’enfant en dramatique manque d’affection. Comprenant qu’il va être envoyé à l’orphelinat, Aliocha disparaît, provoquant le rapprochement contraint de ses parents.
La police ayant déclaré forfait, les recherches sont confiées à une association spécialisée. Les disputes du couple se poursuivent dans une deuxième partie en forme d’enquête, où Zviaguintsev se livre à une charge contre une société impitoyable, glaciale, entre désespoir et frustration. S'élevant contre les travers de ses membres obsédés par les écrans, accrochés au portable, se focalisant sur l’égoïsme des adultes ne pensant qu’à leur bonheur. Un film coup de poing, terrible, brutal, implacable, Il est servi par de formidables acteurs, dont le petit Matveï Nvikov (photo), et une superbe mise en scène.
Il voulait être acteur
Né à Novosibirsk, troisième ville de Russie, Andreï Zviaguintsev, de passage récemment à Genève, nous raconte qu’il a d’abord voulu être acteur. Au bout de quatre ans où il a obtenu de grands rôles, il ne se sent pas à la hauteur en découvrant Al Pacino. Du coup il part à l’armée pendant deux ans, puis intègre l’Académie des arts du théâtre à Moscou. A nouveau pendant quatre ans.
Pourtant, en voyant L’avventura d’Antonioni, c’est du cinéma qu’il tombe amoureux. Il cherche alors à visionner tout ce qui est possible chez les géants de la pellicule et décide de s’y consacrer. En 2003, il réalise Le retour, Lion d’or à Venise. Son succès ne s’est pas démenti depuis.
Andreï Zviaguintsev assure ne pas choisir ses thèmes. «Les histoires viennent d’elles-mêmes. C’est la thématique qui me choisit. Pour Faute d’amour, c’est en surfant sur internet que j’ai trouvé une info sur Liza Alert, une organisation de bénévoles vouée à la recherche des disparus».
L’enfant, tel un catalyseur, va alors donner une nouvelle vision du couple qui se déchire.
Exactement. Son absence accentue l’importance de la séparation. Ils sont haineux, ne voulaient plus se parler, plus rien avoir en commun et voilà qu’ils sont obligés d’être ensemble pour rechercher leur fils. Ce qui attise leur discorde.
Vous montrez que le bonheur des enfants passe après l’épanouissement des enfants.
C’est vrai. Mais les gens qui voient ce film en Russie disent que cela n’existe pas. C’est quand même fou de vivre dans ce pays et de ne pas s’en rendre compte.
Votre film est à la fois une charge contre une société, notamment obnubilée par les écrans, une métaphore non seulement russe mais universelle.
C’est une charge contre la nature humaine, et non contre ces objets si pratiques qu’on se demande comment on faisait sans avant, mais qui ne sont qu’un révélateur de l’égoïsme. Et j’espère viser à l’universel, en dénonçant l’absence d’empathie, pire de conscience, qui fait de l’être humain un hamster dans une roue, oubliant l’autre.
L’épreuve a-t-elle changé le couple?
Non. Ils restent déespérément au même point dans le film. Mais qui sait ? J’aime bien citer Pic de la Mirandole évoquant Dieu qui a décidé d’attribuer une place aux animaux et à toute chose. Et qui, arrivé à l’homme, lui dit : « toi, ta place, tu la chercheras sans cesse ». C’est une chance pour lui de se transformer, de faire des choix tant qu’il est vivant.
A l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 20 septembre.