«La célébrité, je n'y crois pas une seconde, elle me dépasserait, me rendrait folle… », dit Amy Winehouse au début du portrait que lui a consacré Asif Kapadia, «Si je pouvais tout rendre pour marcher tranquillement dans la rue je le ferais», confie au téléphone la jeune femme inlassablement traquée à l'une de ses amies d'enfance. C'était la veille de sa mort tragique le 23 juillet 2011.
Fragilisée par des addictions diverses, elle succombait alors à un arrêt cardiaque provoqué par une alcoolémie massive. Elle avait 27 ans et ajoutait son nom à la liste de rock stars décédées au même âge, Brian Jones, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Kurt Cobain...
Dans son documentaire, Kapadia montre une artiste au talent unique, diva de la soul récompensée par six Grammny Awards, mais qui n'était pas née pour la gloire C'était une fille ordinaire qui a vécu une chose extraordinaire. Une pression constante et insensée des medias, associée à un succès planétaire et à un mode de vie suicidaire ont fait de son existence un château de cartes à l'équilibre précaire, dit-il en substance.
Les différents visages de l'icône
Pour retracer son parcours hors norme en forme de randonné mortelle, Asif kapadia, auteur entre autres de Senna, un documentaire sur le champion brésilien de F-1, s'est livré à un énorme travail de recherches, Il a multiplié les entretiens, rencontré les amies d'enfance de la chanteuse, les membres de sa famille en particulier son père Mitchell, chauffeur de taxi reconverti les derniers temps en manager, son mari toxicomane Blake Fielder. Il livre un film fort, intense, émouvant, fourmillant de détails, nourri d'images jamais vues, de films de famille, de témoignages inédits. Le tout sur fond de la musique d'Amy, à travers des live.
On y découvre ses différents visages. De l'ado rondelette drôle, gouailleuse, décapante et se moquant des conventions sociales, à la brindille iconique couverte de tatouages, coiffée choucroute et à l'épais trait d'eyeliner, en passant par l'interprète perfectionniste, la passionnée de jazz, l'amoureuse folle et la junkie ravagée, déchirante, oeuvrant à son autodestruction.
Deux tubes planétaires
En 2003, elle sort son premier album Frank, simple dans le style Winehouse, mélange de jazz, de blues et de soul, avec des textes écrits par elle et entièrement autobiographique. Il connaît un joli succès commercial et la désigne comme l'une des nouvelles voix les plus originales de la pop. Deux ans plus tard, Amy déménage dans le quartier londonien de Camden et la vie de la jeune femme, déjà sous antidépresseurs depuis l'âge de 13 ans, commence à basculer.
C'est là qu'elle rencontre Blake Fielder qui l'initie au crack et à l'héro. Elle en est dingue, il lui brise le cœur et elle compose deux tubes cosmiques: Rehab, après Back to Black sur cette rupture qui l'a détruite. Mais Blake revient et ils se marient en 2007. Ils anéantissent plusieurs tentatives de désintoxication du couple
Dérangeant, passionnant, l'opus donne lieu à des scènes bouleversantes dont celle d'un concert à Belgrade, le 18 juin 2011. Amy était arrivée hagarde, titubante, tirant sur sa robe, errant d'un musicien à l'autre, s'asseyant dos au public, incapable de chanter, huée par la foule en colère. Elle avait alors annulé sa tournée estivale. La fin était proche….
Kapadia accusé de flirtrer avec le caniveau
Certains reprochent au réalisateur de flirter avec le caniveau, de mettre en scène une descente aux enfers fabriquée en abusant d'images détritus glanées sur le net, de photos volées par les paparazzi, de faire du spectateur un voyeur, de l'entraîner dans la propre vulgarité du système qu'il entend dénoncer, bref de ne rien lui épargner de ces remugles rendant l'opus presque insupportable.
Alors oui, c'est vrai, Kapadia va parfois dans l'excès, l'exhibitionnisme, le trash, le graveleux. Avec raison, car ce qu'il divulgue laisse imaginer pire. En faire abstraction serait oublier que c'est à Amy Winehouse que rien n'a été épargné. Victime d'une surenchère hypercrasse entre les tabloïds anglais, elle fut surexploitée par tous au sommet de sa gloire puis vilipendée lors de sa chute, ridiculisée à coups de plaisanteries grasses dans les journaux et à la télévision
Edifiant, Amy est un grand documentaire musical à ne pas manquer. Nonobstant les critiques des proches de la star. Au début approbateurs, ces derniers ont attaqué le film qu'ils estiment trompeur. A les entendre, il contient des mensonges concernant la chanteuse et ne reflète pas les efforts gigantesques entrepris par tous pour aider Amy à toutes les étapes. L'entier de ce qui a été dit a été vérifié plusieurs fois, déclare de son côté Asif Kapadia.
Film à l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 8 juillet.