Le meilleur film de la semaine, c’est incontestablement Después de Lucia. Lauréat de la section Un Certain Regard en mai dernier à Cannes, il va représenter le Mexique aux Oscars fin février prochain. On doit cet excellent long métrage au réalisateur Michel Franco, 33 ans, déjà auteur d’un premier essai très réussi, Daniel & Ana.
Il y traitait de l’inceste, avec un frère et une sœur kidnappés et que leurs ravisseurs forçaient à coucher ensemble devant une caméra. Dans Después de Lucia, il évoque les tribulations sordides d’une adolescente victime de "bullying" scolaire, c’est-à-dire de harcèlement en l’occurrence particulièrement violent.
Roberto, qui vient de perdre sa femme, décide de tourner la page et de s’installer à Mexico avec Alejandra, sa fille de 17 ans. Elle croit se faire de nouveaux amis dans un lycée fréquenté par des élèves de la bonne société mexicaine et est même invitée pour le week-end dans la résidence secondaire des parents de l’un d’eux.
L’alcool aidant, Alejandra se laisse séduire par un garçon qui filme leurs ébats sur son portable et poste la vidéo sur internet. Toute l’école en a la primeur et le quotidien d’Alejandra bascule gravement. Ses prétendus camarades la traitent de traînée, se transforment en bourreaux et se mettent à l’humilier, à la torturer physiquement et mentalement. Face à l’escalade des insultes et de la violence, Alejandra choisit de devenir l’esclave de ses tortionnaires. Un choix dangereux qui la voue à une vraie descente aux enfers.
Un film fort, choc, coup de poing, glaçant. Un film où Michel Franco donne à voir mais n’explique pas. Il ne dénonce ni ne juge mais expose les faits avec une implacable rigueur. D’une manière clinique, froide, sans la moindre complaisance, il dit la souffrance, la destruction d’un être humain par des ados brutaux et indifférents. C'est impressionnant.
De passage à Genève, le cinéaste évoque brièvement son parcours. Autodidacte, il cite des réalisateurs qui l’ont poussé vers le cinéma, comme Michael Haneke, Robert Bresson, Ingmar Bergman ou Luis Bunuel. "Je les aime tous, ils ont été des découvertes pour moi, mais ce ne sont pas à proprement parler des références".
Dans Después de Lucia, vous vous livrez, par le biais du harcèlement d’une jeune fille, à une sorte d’étude, voire d’autopsie de la violence.
Effectivement. Toutefois, ce qui me fascine davantage que la violence, c’est son acceptation par Alejandra. Au début elle résiste, mais petit à petit, réduite à un objet, elle se résigne. Et plus elle se laisse faire, plus cela excite les lycéens qui dépassent les limites. Honteuse, proche de la dépression, elle est devenue une cible facile.
En somme elle est comme tétanisée par les traitements dont elle est victime.
Jolie fille, jeune et gentille, elle ne pouvait pas imaginer le cauchemar qu’on lui fait subir et dont elle ne peut parler à personne. Surtout pas à son père. Je veux aussi prouver que n’importe qui peut être piégé par une forme de violence presque banalisée, via le numérique.
Vous affirmez votre refus de manipuler le public. Pourtant il y a une scène terrible qui pourrait signifier le contraire.
Pas du tout. J’ai le plus profond respect pour les spectateurs. Pour moi, le film doit les émouvoir et leur faire comprendre ce qui se passe. Ce que je montre est destiné à provoquer le débat, mais également à divertir.
Vous allez représenter le Mexique aux Oscars. Quelle a été votre réaction lorsque vous l’avez appris?
C’est un honneur et j’en suis fier bien entendu. Cela dit, je n’en fais pas tout un plat. Un million de gens ont vu mon film à Mexico et la nomination aux Oscars en incitera plein d’autres, j'espère, à aller le voir. Pour moi c’est ça, le vrai prix.
Infatigable, Michel Franco a déjà terminé son troisième opus, A los ojos. Il s’agit d’un film sur le trafic d’organes, dont les héros sont les SDF de Mexico.
Film à l’affiche dans les salles romandes, mercredi 16 janvier.