Spécialiste de l’adaptation littéraire, Claude Miller, mort le 5 avril dernier, avait décidé pour son dernier film de porter à l'écran Thérèse Desqueroux, le chef d’œuvre de François Mauriac. Publié en 1927, le roman avait déjà tenté Georges Franju et avait valu à Emmanuelle Riva le prix d’interprétation à la Mostra de Venise en 1962.
Un double défi à relever pour Claude Miller, qui a fait appel à Audrey Tautou pour incarner la fascinante Thérèse. Personne ne remplacera Emmanuelle Riva, mais le choix se révèle plutôt judicieux, la comédienne se montrant convaincante dans le rôle de cette avant-gardiste de l'époque à l'allure un peu austère, de cette intello qui a lu quelques livres, élevée par un père radical, exaltée mais froide, mère indifférente, pleine d‘idées folles mais décidée à les refouler et croyant vraiment que le mariage allait la rendre heureuse.
Avide de liberté, elle ne tarde pourtant pas à étouffer sous le poids des conventions bourgeoises dans l’environnement de ces Landes où on arrange les mariages pour unir les terres et allier les familles. Elle tente, sans le haïr vraiment, d’empoisonner son mari Bernard à l’arsenic. Pour éviter l’éclatement du scandale et alors que tous la savent coupable, Bernard, de connivence avec son beau-père et l'avocat, la disculpe devant le tribunal qui prononce un non-lieu.
Le roman commence tandis que le procès se termine. Puis, le narrateur opère un retour en arrière pour évoquer le parcours de Thérèse, suggérant ce qui l’a poussée à cette tentative de meurtre. La jeune femme se rappelle alors son adolescence joyeuse avec la jeune Anne, le mariage avec son demi-frère, sa déception sentimentale en se voyant réduite à la maternité, sa cruelle intervention pour détruire l’amour qu’Anne voue à un bel étudiant juif bordelais en vacances, la naissance de sa fille…
Et surtout le jour où elle surprend son mari, stressé par un gros incendie menaçant leur maison, à avaler deux fois la dose d’un médicament à base d’arsenic. Ces doses qu’elle augmentera chaque jour, jusqu’au moment où le médecin découvre une ordonnance falsifiée et porte plainte.…
Hostile au flash back, Claude Miller a lui complètement renversé la structure, estimant que l’histoire était parfaitement racontable d’une façon linéaire. Qu’elle en prenait même de la force et permettait de se sentir plus proche de Thérèse. Il a pris d’autres libertés avec le livre, à commencer par le personnage de Bernard, qu’il rend moins brutal, moins rustre, moins dur, moins moche.
Alors que le rôle était tenu par Philippe Noiret il y a cinquante ans, c’est Gilles Lellouche qui s’y colle. Il surprend par une bonne interprétation, presque à contre-emploi, de ce mari hypocondriaque, attaché aux valeurs familiales, qui dans le fond semble aimer sa femme et préfèrera le faux-témoignage à la souillure de son nom.
Ce remake de Thérèse Desqueroux, d’une facture très académique, n’est pas le meilleur de Claude Miller. Mais tout acquis à Thérèse, il porte un éclairage et un regard intéressants sur la condition féminine dans les années 20. Donnant aussi très envie de (re)lire le roman de Mauriac et de (re)voir l’adaptation de Franju.
Film à l’affiche dans les salles romandes dès le mercredi 21 novembre.