Dans son nouveau documentaire, La transformation merveilleuse de la classe ouvrière en étrangers, le réalisateur zurichois Samir se penche sur la migration italienne en Suisse, de l’après-guerre jusqu’à aujourd'hui. Cette plongée, où se mêlent racisme, xénophobie et résilience, fait écho au propre parcours de l’auteur, qui sait de quoi il parle. Rappelons que né à Bagdad en 1955, il a émigré en Suisse à l’âge de six ans. Il n ‘a obtenu la nationalité suisse que dix ans plus tard, quand sa mère a récupàéré.la sienne, après s’être remariée avec un citoyen helvétique.
Des parties de ce parcours sont d'ailleurs incluses sous forme d’animation, où on le voit fréquenter milieux ouvriers, syndicaux, ou encore le parti socialiste. Outre ses séquences, l'opus fourmille d’archives, de scènes de films, de clips, de photos de famille de documents publics, de chansons, de lieux, d’interviews
Des images pour décrire la violence, l'hostilité à l'égard des saisonniers, ces hommes et ces femmes venus travailler pour des salaires misérables. Vivant dans des baraquements insalubres, ils sont séparés .de leurs enfants qu’ils font parfois faisaient entrer illégalement en Suisse. Très engagé dans les mouvements syndicaux et de la gauche radicale, membre du comité de l'initiative Quatre Quarts pour une naturalisation facilitée, Samir critique vivement la position de la Suisse face à l’immigration. Sans oublier celle des forces conservatrices présentes dans les syndicats . Point culminant de cette xénophobie érigée en système, l’initiative Schwarzenbach en 1970, demandant une limitation des étrangers à 10 %. Elle fut rejetée à 54 %.
L'Italie devenue carrément un must
Samir montre que dans les années 80, la situation évolue de manière générale en Suisse. Les syndicats intègrent les syndicats. Le statut de saisonnier est aboli en 2002 Avec le temps, la cuisine, la culture, la mode italienne deviennent carrément un must. Sauf qu'on n'en a pas fini avec la xénophobie, comme on le voit la fin de l'oeuvre. Elle a juste changé de visages. Ceux des migrants africains notamment exploités dans le sud de l’Italie, d’où étaient alors partis les ouvriers dans l’espoir d’une vie meilleure...
Ayant lui-même subi des persécutions, Samir préfère toutefois l’ironie, l'humour et le sarcasme à la victimisation, à l'image de son titre La transformation merveilleuse de la classe ouvrière en étrangers, «Cela n’a pas trop plu aux syndicats, lors de la projection du film à Lausanne", plaisante-t-il à l’occasion d’une rencontre à Genève.
-Vous aviez déjà confronté les immigrants de la première génération aux jeunes issus de la seconde avec Babylone en 1993. Pourquoi un nouveau documentaire sur ce thème?
-Je suis fasciné par le changement de culture. Par ailleurs, j’ai noté, dans mon propre milieu, que les gens ne savent rien de ces 2,5 millions d’émigrés en Suisse. Ils croient qu’en général tout va bien et qu’il n’y a pas de place pour le problème social.
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Avec cette multitude d'archives de toutes sortes, vous avez dû vous livrer à de longues et nombreuses recherches.
-Pas vraiment. Les films, par exemple, je les connaissais et en ce qui concerne les documents publics, les rapports gouvernementaux, on trouve tout facilement. En plus grâce au Covid, j’ai pu m’y consacrer au calme. Le plus difficile, c’était les interviews. J’en ai fait une centaine, mais beaucoup avaient de la peine à se raconte,, à témoigner. On ne le voulaient pas.. Les blessures et les traumatismes étaient toujours vivaces chez les anciens ouvriers. Cela dit, il y avait aussi des souvenirs de solidarité et même d’émancipation, notamment celle des femmes.
-Vous critiquez à la fois la position de la Suisse et des syndicats
-Et pour cause. La migration, ,les expulsions, le racisme, on n’en discutait pas. Les forces conservatrices chez eux étaient pro Schwarzenbach
-Alors que la situation a évolué à partir des années 80, la xénophobie demeure. Comme vous le dites, les immigrés continuent de faire le travail que ne veulent pas faire les Suisses. Mais c’est pareil ailleurs.
Bien sûr. le racisme existe partout. A cet égard, je prépare une série télévisée européenne sur le sujet des derniers émigrés depuis 40 ans, avec chaque épisode centré sur un pays différent.
-Votre film est un appel à dépasser les préjugés. Donc, l’espoir demeure.
-C’est pour cela que je l'ai fait. Je pense que les humains peuvent changer les humains. La Suisse est déjà changée. C’est un pays de migrants. On ne peut pas revenir en arrière.
-Votre film est à charge. Alors finalement cette Suisse, est ce que vous l’aimez ?
--Oui, beaucoup. Aujourd’hui, c’est mon pays. Je ne pourrais plus vivre en Irak.
On en tirera donc une conclusion logique. Qui aime bien châtie bien...
A l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 26 mars.