Delphine Deloget avait vécu un véritable triomphe à Cannes à l'issue d'une projection ponctuée d'applaudissements, ce qui n'est pas fréquent sur la Croisette. Dans Rien à perdre, elle aborde avec justesse le sujet sensible, délicat, ambigu de la protection de l’enfance. Ainsi que la lutte incessante d'une mère privée d'un de ses enfants contre un système parfois trop rigide, éludant les réponses précises, et provoquant sa colère et une certaine violence , ce qui n'arrange pas les choses. .
Cette grande réussite tient également à la présence de Virginie Efira, qui porte admirablement le film, aux côtés de Félix Lefebvre et Arieh Worthalter. L'actrice peut décidément tout jouer en se renouvelant sans cesse.
Là encore elle est parfaite et nous sidère en «étant», plus qu’en incarnant Sylvie, Brestoise un rien boderline, prête à tout pour ses enfants, Jean-Jacques et Sofiane. La famille est très soudée. Mais Sylvie travaille tard, dans un bar. Un soir le petit garçon resté seul dans l’appartement, se brûle gravement dans l'explosion d'une friteuse, en voulant se faire à manger. Suite à un signalement, sa garde est retirée à Sylvie et Sofiane placé dans un foyer.
Ravagée mais pugnace, sa mère est déterminée à le récupérer coûte que coûte. Aidée par une avocate et ses frères, elle est sûre de pouvoir venir à bout de la lourde machine administrative et judiciaire Le combat sera pourtant beaucoup plus long, dur et douloureux qu’elle l’imagine.
Lors d’une rencontre à Genève, Dephine Deloget nous en dévoile plus sur son premier long métrage et son désir de passer du documentaire à la fiction. J’avais envie de franchir le pas. De passer de l’un à l’autre, tout en apportant du documentaire dans ma manière de travailler.
D'où vous est venue l'idée de départ pour Rien à perdre?
J’avais envie de raconter comment on se sépare dans une famille, comment on apprend à vivre sans l’un de ses membres et ce qui se joue dans l’intimité du foyer, les sentiments que.provoque la question du placement du petit Sofiane. L’explosion de la friteuse est à cet égard symbolique d’une rupture certes douloureuse, mais nécessaire.
Avez-vous effectué beaucoup de recherches ?
Oui, j’ai rencontré un juge, des avocats, des familles avec enfants pour enrichir le film d’une certaine réalité et j’ai raconté un morceau de vie totalement crédible. J’ai travaillé ces histoires de placement. C’est très compliqué. Une zone grise où l’Aide sociale à l’enfance (ASF) entre en jeu, des scènes que je montre et qui ont véritablement existé. Dans le cas qui nous occupe, comme dans beaucoup d’autres, on ne sait pas trop ce qui s’est passé.
Vous évoquez une machine inarrêtable.
J’ai écouté beaucoup d’histoires de parents, de témoignages sur des soupçons de maltraitance. On place sans faire d’enquête. Un principe vertueux au départ, mais dès lors la famille et les services sociaux sont embarqués dans une machine inarrêtable Cela devient kafkaïen
Comme pour Sylvie, la mère, dont vous donnez le point de vue.
Effectivement. l’idée était d’en faire un personnage plus fort que le sujet. D’être totalement avec elle, de vivre ce que peuvent vivre des parents un peu à la marge. Mais il s’agit aussi de la regarder déraper. Elle est en faute. Elle ne suit pas les règles. Les services sociaux sont aussi pris dans l’engrenage. Ils sont dans leur bon droit, obligées d’appliquer les décisions. A 80%, ils ne sont pas défaillants. C’est un film sur la fragilité sociale, les liens distendus. A trop vouloir d’ordre, on sème le désordre.
Le film doit beaucoup à l’excellente Virginie Efira. Était-elle votre premier choix ?
Au début, je n'ai pensé à personne. Mais Virginie est infiniment désirable. Avec elle on passe du drame à la comédie Elle crée un personnage fort, réjouissant, énergique, parfois désemparé, mais jamais triste. Le projet lui parlait et elle avait accepté il y a quatre ou cinq ans, alors qu’elle n’était pas encore en pleine ascension, à un moment où elle aurait pu hésiter. J’avoue avoir redouté qu’elle change d’avis. On était en plein Covid. Les contraintes étaient nombreuses. Le tournage a été difficile.
Face à elle, Félix Lefebvre est à la hauteur.
C’était un véritable cadeau. Il avait déjà joué, notamment dans Été 85 de François Ozon. J’en fais un ado grassouillet qui joue de la trompette. Il a pris 20 kilos pour le rôle. il aime s’impliquer et s’est par exemple beaucoup occupé du petit Alexis Tonetti (Sofiane), qu’on a mis du temps à dénicher. Il avait une certaine douceur, tout en étant assez frondeur. Tous les deux sont très justes.
"Rien à perdre", à l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 22 novembre.