Nous sommes en 2013. Championne de gymnastique de 15 ans, Olga (Anastasia Budiashkina très convaincante) est tiraillée entre la Suisse où elle s’entraîne pour les championnats d’Europe à Stuttgart et son pays, l’Ukraine, où sa mère journaliste couvre les événements explosifs d’Euromaïden.
Si cette dernière a envoyé Olga dans la patrie de son père décédé, c’est pour la mettre à l’abri. Ses enquêtes sur la corruption régnant dans les plus hautes sphères de l’Etat constituent une vraie menace et pourraient contraindre sa fille à renoncer à ses ambitions sportives.
L’adolescente vit dès lors un quotidien compliqué. Non seulement elle doit faire ses preuves dans une discipline des plus rude, mais supporter l’exil et surtout envisager d’abandonner sa nationalité ukrainienne alors que Kiev est à feu et à sang. Sans compter que sa mère se bat sur le front.
Cette production franco-suisse est le premier long métrage d’Elie Grappe. S’inspirant d’une histoire vraie, il a choisi, tout en parlant de jeunesse, d’immigration et d’exil, de traiter la question de l’identité de façon originale, avec une héroïne à la carrière bouleversée par la révolution.
En-dehors d’images d’archives des violentes manifestations, l’auteur centre son film sur les entraînements de gymnastique d’une rare exigence, souvent ponctués de lourdes chutes. Des mouvements répétés sans cesse pour tendre à la perfection. Ces séquences spectaculaires magnifiquement filmées, qui montrent la différence entre la réussite et l’échec nous font ressentir la tension qui gagne la gymnaste. Métaphoriques, elles donnent de la puissance à l’œuvre.
Fan de cinéma au berceau
Sélectionné à la Semaine de la Critique du dernier Festival de Cannes, son réalisateur Elie Grappe a été récompensé du prix SACD. Une visibilité qui a facilité, en plus de son indéniable talent, le fait de représenter la Suisse aux Oscars. Quoi qu’il en soit, il y a de quoi combler ce cinéaste de 27 ans, né à Lyon où il a étudié la trompette au Conservatoire et vivant aujourd’hui à Vevey.
Mais c’est du cinéma qu’il avait dans la tête à 6-7 ans déjà, comme il nous le dit lors d’une interview. «Olga est parti d’une violoniste ukrainienne filmée pendant un court métrage à Singapour, à l’occasion d’un échange d’orchestre fin 2015. J’ai été particulièrement touché par la manière dont elle m’a raconté la révolution et la façon dont les images l’avaient bouleversée. J’y ai rapidement trouvé la matière pour mon film, dans la passion d’une adolescente».
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-Pourquoi opter pour le thème de la gymnastique, alors que vous êtes plutôt spécialiste de musique et de danse?
-Lorsque je travaillais sur la danse classique j’ai lu un livre sur Nadia Comaneci et j’ai commencé à m’intéresser à ce sport pour moi mystérieux, à la fois individuel et collectif, incarnant l’effort, l’exigence. Par ailleurs, la gymnastique est une discipline très cinégénique, remplie de sons et en perpétuel mouvement. J'aime travailler sur des pratiques qui passionnent, ces moments où on ressent l'humanité. Cela m’intéressait beaucoup de filmer le souffle, le regard, les hésitations et les erreurs. Ces moments où on a conscience des risques que prennent ces jeunes filles.
-Comment avez-vous découvert votre talentueuse héroïne?
-J’ai rencontré Anastasia à Berne lors des Championnats européens. Il s’agit d’une vraie gymnaste, d’un niveau élevé, qui fait partie de l’équipe de réserve nationale ukrainienne. C’était indispensable, car il fallait faire croire pendant longtemps à un film aux enjeux uniquement sportifs, avant que les choses se déplacent et qu’Olga se rende compte que ce qu’elle fait est politique.
-En réalité, il s’agit avant tout d’un film sur l’exil.
En effet.et il en découle plusieurs thèmes. J'évoque une gymnaste en plein dilemme, qui ne se sent pas à sa place, tiraillée entre deux pays, entre deux fidélités, sans cesse prise entre des injonctions contraires. Et de surcroît confrontée à une situation géopolitique qui la dépasse.
"Olga", à l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 17 novembre.