Après Les Merveilles, chronique d’une famille en Ombrie, Alice Rohrbacher revient avec Heureux comme Lazzaro, où elle met en scène un jeune paysan ( Adriano Tardolio, une révélation). Il vit dans un hameau italien à l'écart du monde, au sein d’une communauté d’une trentaine de paysans très pauvres.
Ils cultivent du tabac pour la propriétaire des lieux, la riche et extravagante marquise Alfonsina de Luna, qui les exploite sans vergogne et en toute illégalité. Humiliés, méprisés traités comme des esclaves, ils ne sont non seulement pas payés, mais accumulent les dettes envers leur employeur qui en profite encore pus honteusement.
Et à leur tour, les fermiers tyrannisent Lazzaro, Mais ce garçon simplet, innocent, doux et taiseux, au visage naïf, habité d’une infinie bonté, exécutant les tâches les plus grossières, ne se plaint ni ne se rebelle jamais. Joyeux, serviable, il noue une amitié avec le beau Tancredi, le fils de la marquise, ado bourgeois arrogant et rebelle, qui abuse également de son inaltérable gentillesse tout en se montrant singulièrement complice.
Sur le chemin de la sainteté
Mais la police finit par débarquer pour mettre un terme à ces conditions féodales. C'est alors que Lazzaro, réfugié dans les collines, tombe d’une falaise et qu'un autre film commence. On se retrouve vingt ans après dans un décor urbain qui a remplacé la ruralité. Sauf que la situation est pire. Vieillis, usés, encore plus misérables, les mêmes paysans tentent de subsister en mendiant dans la crasse d’un bidonville près d’une voie de chemin de fer.
Et tandis qu’on le croyait mort, Lazzarro réapparaît tel qu’avant sa chute, physiquement, mentalement, moralement, portant les mêmes vêtements. Un bienheureux sur le chemin de la sainteté pour aider ses proches, son prénom faisant évidemment référence au mythe de la résurrection de Lazare.
Il est magnifiquement interprété par le génial Adriano Tardolio, atout majeur de cette œuvre entre passé et présent, néoréalisme et surréalisme, rêve et réalité sur fond de mystère et de mysticisme. Montrant sa compassion, son empathie envers les laissés pour compte, Alice Rohrwacher livre une émouvante et envoûtante fable politico-sociale aux accents pasoliniens. Dans cette parabole pleine de grâce et de poésie, récompensée par un Prix du scénario au dernier Festival de Cannes, elle dénonce l’injustice, l’inégalité, la servitude, l’indignité et la cruauté d’un monde déshumanisé.
A l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 21 novembre.