Si ça continue comme ça, il faudra se lever au milieu de la nuit, plus ou moins le moment où on se couche, pour être sûr d’entrer à Lumière. Sinon zapper carrément la projo du matin et aller directement camper devant la salle des conférences de presse. Sous l’œil goguenard des responsables de la sécurité, qui prennent sadiquement leur pied à vous laisser poireauter des plombes dans la file, en se faisant écraser un orteil ou fêler une côte…
D’accord, c’était pour voir Quentin Tarentino et Brad Pitt, débarqués la veille sur la Croisette avec «Inglorious Basterds». L’événement people du jour, relayé par tous les médias de la planète. Et je ne vous raconte pas le délire lors de la montée des marches. Surtout qu’Angelina Jolie était de la partie. Un vrai soulagement! Eh oui il y avait des rumeurs comme quoi ils étaient séparés.
Enfin, tout ça pour vous dire qu’en fait, l’événement cinématographique du jour (je sais, parfois à Cannes on oublie ce que ça signifie…) c’était Alain Resnais et ses délicieuses «Herbes folles». Même si 2000 journalistes/photographes tentaient désespérément d’investir 200 places pour mitrailler Brad, et qu’ils n’étaient qu’une petite cinquantaine à prendre leurs aises en écoutant religieusement le grand homme, entouré de Sabine Azéma et André Dussollier parler de son film.
Un bijou adapté d’un roman de Christian Gailly, dont l’intrigue, mettant en scène des personnages aux pulsions totalement déraisonnables, tient en quelques phrases. Une femme aux pieds ordinaires va s’acheter des chaussures et, en sortant de la boutique, se fait piquer son sac par un jeune voleur qui jette son contenu dans un parking souterrain. Un homme retrouve son portefeuille à côté de sa voiture et se baisse pour le ramasser. Mais s’il avait su ce qui allait se passer, peut-être l’aurait-il laissé là.
Alain Resnais, qui tourne des films pour voir comment ça va tourner est une herbe folle qui, à l’image de ces graines qui profitent d’une fente dans l’asphalte ou dans un mur de pierre pour se développer, a poussé là il n’aurait pas dû, puisqu’un médecin avait dit à sa mère «qu’elle ne l’élèverait pas», Il avait alors sept ans. Et à quatre-vingt-cinq, ce magicien vous bluffe avec ses trouvailles scénaristiques et stylistiques, sa manière de filmer comme ça vient, si libre, si novatrice, si moderrne.