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Grand écran: "The Shameless" jette une lumière crue sur l'enfer quotidien des prostituées indiennes

Au milieu de la nuit, Nadira (Anasuya Sengupta), qui approche de la trentaine, s’échappe d’un bordel de Delhi après avoir poignardé à mort un flic abuseur. Quittant rapidement la ville pour le sud de l’Inde, elle se réfugie temporairement dans une communauté de travailleuses du sexe où elle prend le nom de Renuka. Elle doit à nouveau supporter la violence de clients sadiques, mais sa survie en dépend dans la mesure où elle doit gagner suffisamment d’argent pour s’enfuir aux Philippines, où personne ne la retrouvera.
 
Ses plans sont bouleversés lorsqu’elle rencontre la ravissante Devika (Omara Shetty), 17 ans, dont elle tombe amoureuse, un sentiment qu’elle n’a jamais éprouvé. Condamnée à la prostitution par sa mère vénale, la douce et délicate adolescente encore vierge, tente de désespérément retarder le moment fatidique où elle sera livrée à la concupiscence de mâles riches, âgés et bedonnants. Et ne tarde pas à ressentir de la fascination pour cette femme sans peur, libre, effrontée et tenace, bien que peu sympathique au premier abord avec son visage dur et fermé.
 
Une liaison lesbienne interdite
 
Grossière, Renuka jure, boit, fume ostensiblement, refusant de se plier aux lois barbares du patriarcat tout puissant, aux traditions ancestrales désormais illégales, mais qui subsistent ici et là. Elle rejette également la domination de mères maquerelles impitoyables, qui gèrent ce business aussi sale que lucratif. Devika admire cette survivante dont elle fait son modèle. Leur rapprochement devient une liaison lesbienne évidemment interdite, ce qui ne va pas arranger leur situation respective déjà précaire.
  
The Shameless (celles qui n’ont pas honte) est le troisième long métrage du Bulgare Konstantin Bojanov., tourné à Katmandou pour des questions de censure en Inde notamment liées à l’homosexualité. Il ne s’embarrasse pas trop de nuances et n’évite pas quelques clichés dans cette œuvre tirant parfois en longueur.
 
Il n’empêche qu’avec le portrait émouvant de ces deux femmes courageuses, résistantes, le réalisateur jette une lumière crue et nécessaire sur le quotidien horrible des prostituées indiennes, odieusement exploitées, maltraitées, non seulement par les hommes, mais au sein de leur propre famille âpre au gain. 

Konstantin Bojanov entre réalisme et fable

«La situation des prostituées est encore pire que ce que je dépeins», nous dit le cinéaste lors d’une rencontre à Genève. Il nous explique sa fascination pour la culture indienne, et plus spécifiquement son intérêt pour le milieu de la prostitution. 

«J’ai d’abord abordé le sujet il y a 12 ans par un documentaire avec plusieurs histoires. J’ai décidé d’en utiliser quatre, notamment celle d’une travailleuse du sexe devadasi («servante de Dieu»). Selon une tradition locale datant du VIe siècle ou peu après, les filles prépubères pouvaient être offertes à une déesse. Elles étaient ensuite condamnées à une vie de prostitution, sans avoir le droit de se marier et de fonder une famille. C’est interdit par la loi depuis 1997, mais cela perdure, cachant tout simplement de l’esclavage sexuel.»

"Inventer un personnage que j'aime"

Le côté réaliste du film part donc d’une réalité concrète. En même temps, il apparaît parfois comme une sorte de fable. «J’ai compris que pour réaliser convenablement The Shameless, il aurait fallu que je vive en Inde quelques années, admet Bojanov. Donc je me suis échappé de la réalité et j’ai fait un travail de fiction s’appuyant sur mon documentaire. Je me suis focalisé sur l’aspect existentiel. Mon but était de raconter l’histoire d’un personnage, en l’occurrence Renuka, que j’invente et que j’aime. Une femme forte, impulsive, autodestructrice, bien plus courageuse que moi, qui ne croit plus à l’amour, mais qui se transforme en le rencontrant grâce à Devika, issue, elle, de la vraie vie.»

La trame de romance queer est inspirée par une des histoires de son documentaire qui l’a profondément touché. «J’ai aussi remarqué des relations tendres entre les prostituées. Et personnellement, je me sens bien avec les lesbiennes. Ma sensibilité est proche de la leur. Cela dit, le sexe n’est pas le but, même si elles sont aussi attirées sur ce plan-là. Les scènes sont plus sensuelles que sexuelles. En réalité mon film est une histoire d’amour nichée dans une affaire criminelle.»

Anasuya Sengupta a réalisé un rêve

Pour Anasuya Sengupta, qui porte le film sur ses épaules, devenir Renuka a été «magique». Elle travaille dans le cinéma comme scénographe depuis une quinzaine d’années. «J’aime beaucoup mon métier, mais je rêve depuis toujours de devenir actrice. Et puis un jour, m’est venue cette extraordinaire proposition de rôle par le biais d’un ami sur Facebook.» Une approche singulière qui l’a d’abord laissée très méfiante. «Finalement, je me suis laissé convaincre et quand j’ai lu le scénario, je l’ai adoré. Accepter le rôle était une évidence. Ma vie n’a rien à voir avec le personnage, mais j’ai cette même énergie, ce désir de liberté, cet esprit révolutionnaire, ce côté plus dur à l’extérieur qu’à l’intérieur. En plus c’était formidable de rencontrer Omara.»

"J'ai faim de jouer"

Bien qu’il s’agisse d’une relation lesbienne, le film ne met pas particulièrement l’accent sur cet aspect. Ni d’ailleurs sur le côté érotique. «Il s’agit d’une histoire d’amour avant d’être une histoire d’amour queer, souligne l’interprète. Quant au côté sexuel, on le sait qu’elles sont attirées, ce n’est pas forcément nécessaire de le démontrer! L’idée c’est aussi de découvrir ce que l’amour apporte à chacune. Aguerrie, endurcie, Renuka s’adoucit, tandis que Devika, très vulnérable au début, gagne de la force.»
 
Depuis qu’elle a tourné The Shameless, pour lequel elle a été primée dans la sélection Un certain regard, à Cannes, Anasuya Sengupta ne pense plus qu’à recommencer. Elle a déjé reçu quelques propositions. «J’ai faim de jouer et je suis intéressée par toutes sortes de films. Sans aucune limite!»

"The Shameless" à l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 9 avril. 

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