Elle n’avait que vingt ans lorsqu’elle présentait en juillet dernier à la Quinzaine des réalisateurs son premier long métrage, La colline où rugissent les lionnes. Mais Luàna Bajrami n’était pas une inconnue sur la Croisette. L’année précédente, elle jouait, aux côtés d’Adèle Haenel et Noémie Merlant, une servante dans Portrait d’une jeune fille en feu de Céline Sciamma, sélectionné en compétition. Elle devient même une habituée du prestigieux rendez-vous cannois, puisqu’elle sera l’assistante de Romain Duris dans Coupez! de Michael Hazanavicius, en ouverture de la 75e édition.,
La réalisatrice-actrice, qui est née en France et a grandi au Kosovo, s’est passionnée carrément au berceau pour le cinéma, tournant d’abord ses propres petits films en vidéo. A dix ans, elle obtient son premier rôle à la télévision française dans Le choix d’Adèle. En 2016, elle est l’héroïne du téléfilm Marion, 13 ans pour toujours. Deux ans plus tard, on la retrouve dans L’heure de la sortie. Puis après le Portrait, elle apparaît dans Fête de famille de Cédric Kahn. Sans oublier sa présence dans L’événement de la Française Audrey Diwan, Lion d’or à Venise en septembre 2020.
Pour son passage derrière la caméra, qui n’est pas un retour aux sources dans la mesure où elle fait de fréquents allers et retours entre la France et le Kosovo, Luàna Bajrami a choisi de raconter le quotidien, la quête d’indépendance et le désir d’ailleurs de trois adolescentes. Qe, Jeta et Li vivent dans un bled où règne la loi du patriarcat. Coincées, elles traînent leur spleen en arpentant une colline dans les environs du village, attendant impatiemment de rejoindre l’université, qui leur permettrait un autre avenir que celui, peu enviable, qui leur est promis.
Mais, elles se voient arbitrairement refuser l’entrée à la fac, où les places sont comptées. Désormais elles ont la rage et cherchent à quitter les lieux. Sauf que pour y parvenir, elles ont besoin de beaucoup d’argent. Elles décident alors de fonder un gang de filles, celui des lionnes, auquel s’ajoute, assez curieusement un garçon, du genre plus amoureux que rugissant, très différent des personnages masculins qui traversent le film.
On ne prétendra pas que Luàna Bajrami fait œuvre d’une folle inventivité, mais elle charme dans une première partie où elle nous fait sentir à la fois l’ennui et la fougue d’une jeunesse luttant pour échapper à un milieu étouffant, aux contraintes sociales. au poids des traditions. On est moins séduit par la suite, l’auteure se perdant dans des scènes de braquages peu vraisemblables. Reste qu’à son très jeune âge, cet essai, porté par des protagonistes convaincantes, dont elle-même pour quelques séquences, se révèle prometteur.
Rencontrée récemment à Genève, Luàna nous en dit plus. «Tourner ce film était une vraie envie d’évoquer une jeunesse sans filtre. Ce n’est pas autobiographique, même si j’ai puisé mon inspiration dans les moments que j’ai passés sur place. Avec une volonté de réalisme. Même si j’ai 21 ans, il y a des choses que je n’aurais jamais osé faire ».
-Vous parlez de ce désir d’ailleurs, cette quête d’indépendance qui anime vos trois lionnes. L’avez-vous fortement perçu ?
-Le Kosovo est un pays tout jeune qui questionne l’identité de ses habitants, C’est aussi un pays qui manque de perspective, de rêves. Je questionne le rêve et le besoin de liberté à travers des instants surréalistes, fantasmés mais qui ont existé.
-Ceux des braquages par exemple ?
-Je voulais que les filles cassent les codes. J’ai envisagé les choses en me posant plein de questions sans y trouver de réponses, mais en émettant des doutes. Je me suis laissé aller en me demandant si c’était le bon chemin.
-A cet égard, l’introduction d’un garçon dans le groupe ne rompt-il pas sa dynamique?
-Non, je trouve au contraire qu’il lui est utile, notamment pour contrebalancer les hommes horribles que je montre. En plus il incarne l’amour, il est très touchant.
-Le film montre bien sûr le passage de l’adolescence à l’âge adulte.
-En effet. Quitter le village et le carcan familial est une nécessité. Je parle d’un village isolé et d’une culture dans ce sillon-là. Il y a un côté contradictoire au Kosovo, avec une sorte d’américanisation qui se heurte aux traditions ancestrales et une culture très ancrée dans la population.
La colline où rugissent les lionnes, est à l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 4 mai.