Paul et Myriam ont une fille de cinq ans, Mila et un bébé de onze mois, Adam. Ne supportant plus de rester entre ses quatre murs, Myriam souhaite reprendre son travail d’avocate. Avec son mari musicien, elle se met à la recherche d’une nounou. Après en avoir vu plusieurs, ils embauchent l’expérimentée Louise, qui gagne immédiatement l’affection des bambins. Soulagés, ils pensent avoir trouvé l’oiseau rare.
Dévouée, bienveillante, consciencieuse, toujours prête à rendre service, Louise ne tarde pas à occuper une place qui ne doit pas être la sienne au sein de la famille et du couple, pénétrant dans leur intimité. Comme une araignée, elle tisse sa toile, étend son emprise. Et progressivement, se révèle toujours plus inquiétante sous sa quasi perfection.
Chanson douce de Louise Borleteau est adapté du roman éponyme de Leïla Slimani, lauréate du Prix Goncourt en 2016. Il est lui-même basé sur un tragique fait divers survenu à New-York en 2012. Au tout début, on pense curieusement à La main sur le berceau bien qu’en réalité l’oeuvre n’ait rien à voir avec le film de Curtis Hanson. En fait, avec cette folie qui s’installe, créatrice d’une tension extraordinairement palpable, il s’apparente plutôt à La cérémonie de Claude Chabrol et au Locataire de Roman Polanski. Deux références pleinement revendiquées par la réalisatrice.
Sur un scénario coécrit par l’acteur Jérémie Elkaïm, Lucie Borleteau, auteur de Fidelio, L’odyssée d’Alice, en fait un opus un peu hybride, au carrefour des genres, chronique sociale, drame, tragédie psychologique, thriller, en plongeant le spectateur dans le cauchemar. Evitant soigneusement le sensationnalisme.
L’angoisse vient du fait que tout est vrai. La cinéaste reproduit la force du roman, bien qu’elle ait décidé de ne pas en respecter l’ordre chronologique. Elle augmente ainsi le suspense et le sentiment d’horreur qui atteint un paroxysme que l’on redoute sans vouloir y croire.
La réussite de Chanson douce tient également évidemment à ses comédiens, Leïla Bekti, de plus en plus présente sur grand écran, Antoine Reinartz et surtout Karine Viard, remarquable dans le rôle de cette femme toxique, complexée, névrosée et glaçante, délaissée, en proie à la solitude, en manque d’affection, vivant dans une sorte de taudis. On découvre une partie de son quotidien sordide dans des scènes de train qui ne figurent pas dans le roman, mais que Lucie Borleteau a imaginées afin de donner un ancrage sociologique à son héroïne.
C'est d'ailleurs Karin Viard qui a voulu acheter les droits, comme elle le dit dans divers interviews. Après avoir lu le livre, elle a appelé un producteur pour qu’il les achète pour elle. Quand Lucie Borleteau a remplacé Maïwenn, désireuse d’adapter le roman mais s’était finalement retirée de l’aventure, Karin a suivi toutes les étapes d’écriture et précise qu’elle a notamment donné son avis sur les scènes où Louise est en-dehors de l’appartement familial.
De passage à Genève lors du GIFF, Lucie Borleteau nous en dit plus sur cette Chanson douce qui vire inéluctablement à la ballade horrifique. "Adapter un prix Goncourt, c'était un gros défi. Surtout celui-ci. A dire vrai, c’est mon producteur qui me l’a fait lire. J’ai donc commencé dans l’optique d’en faire un film. Je l’ai dévoré d’une traite. Ce livre est un conte maléfique et magnétique qui m’a laissé une forte sensation de vertige, l’idée d’un puits sans fond que j’ai essayé de retranscrire à l’écran. Jérémie Elkaïm a fait des choix radicaux, condensés. Je suis partie de son texte et j’ai rajouté des choses qui m’avaient marquées et me manquaient".
Vous avez trahi la chronologie du roman en plaçant la scène du début à la fin.
Ce fut un choix très long. Je ne me fermais aucune porte. Mais si je restais fidèle au livre en l’occurrence, le film devenait un chemin de croix. Or, en-dehors du suspense que cela provoquait en procédant inversement, je voulais qu’on soit dans l’empathie avec tous les personnages. Y compris Louise, qui n’est pas qu’une tueuse d’enfants.
Karin Viard se révèle d'une rare évidence en baby-sitter très dérangée.
Pour elle c’était un désir puissant. Elle n’avait jamais incarné de personnage de ce genre. Ce qui l’intéressait c’était l’humiliation sociale, très présente aujourd’hui dans nos sociétés qui excluent les marginaux. Cette donnée est au cœur du film.
Paul et Myriam ne savent pas trop comment faire avec cette femme apparemment si parfaite.
Effectivement. Ils n’arrivent pas à se comporter en patrons vis-à-vis d’une simple employée. Non seulement Myriam est impressionnée, mais en plus elle retrouve une liberté grâce à elle. En outre le fait qu’elle s’occupe des enfants implique une relation affective et c’est cela qui permet à Louise de prendre petit à petit une place centrale au sein de ce foyer. Au point que le couple, perdant de vue la distance qu’il devrait conserver, lui propose de venir en vacances. Ce sont ces vacances qui représentent le moment de bascule vers la folie.
"Chanson douce" à l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 27 novembre.