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Grand écran: "Noces", le poids terrible de la tradition. Un film bouleversant signé Stephan Streker

aaaaanoces.jpgD’origine pakistanaise Zahira vit en Belgique. Lycéenne de son temps, elle mène la vie des filles de son âge. Un jour, ses parents lui annoncent qu’elle doit se marier avec l’un des trois prétendants qu’ils ont choisi pour elle, de lointains cousins qu’on lui présente par Skype.  Mais sa soif d’émancipation est plus forte que l’impératif familial et elle refuse de se plier au poids terrible de la tradition. Venue de Barcelone, sa sœur aînée obligée de se marier quelques années plus tôt, tente de lui faire entendre raison.

Zahira, qui aime beaucoup son père et sa mère, compte énormément sur son grand frère Amir, son confident de toujours pour qu’il la soutienne et leur fasse comprendre qu’elle ne se mariera qu’avec un homme dont elle tombera amoureuse. Elle rencontre Pierre. Le drame couve, inéluctable...

Le réalisateur Stephan Streker s’inspire d’un fait divers qui s’était déroulé à Charleroi en 2007 pour nous plonger au sein de cette famille pakistanaise établie depuis longtemps en Belgique et qui semble parfaitement intégrée.

Il en fait un film bouleversant, passionnant, intelligent, subtil, qui fait particulièrement écho à ce qui se passe actuellement.  Une tragédie grecque, selon ses propres mots, où sans juger, sans dénoncer, évitant le manichéisme et le pathos, il suit l’itinéraire funeste de Zahira. Une héroïne sacrificielle écartelée entre deux cultures, entre son aspiration à l’indépendance et l’amour des siens.

Excellents, les comédiens contribuent grandement à cette réussite. A commencer par Lina El Arabi, dans le rôle de Zahira (photo). Magnétique, lumineuse en rebelle douce mais déterminée, c’est une révélation aux côtés de son partenaire Sébastien Houbani, en frère qui adore sa sœur, mais en même temps gardien de l’honneur …

aaaaastreker.jpg"J'ai gardé ma liberté créatrice"

Le Belge Stephan Streker,  53 ans, ancien journaliste, fan de foot et consultant à la RTBF pour tous les matches des Diables rouges, l’équipe nationale,  nous en révèle plus sur son troisième long métrage lors d’une rencontre à Genève. Attiré par le thème du mariage forcé, il n’en fait pas pour autant un documentaire.

"Evidemment, je me suis beaucoup renseigné, en voyant des membres de la communauté belgo-pakistanaise pour ne pas trahir les fondamentaux d'une culture qui n'est pas la mienne. Mais au-delà du sujet que je traite, bien sûr, je m'intéressais avant tout à la possibilité de raconter une histoire exceptionnelle, en me penchant sur l'intime des protagonistes".

Stephan Streker a voulu garder sa liberté créatrice, par exemple en introduisant un personnage important, la sœur de Barcelone, qui n’existe pas dans la réalité. "En revanche, précise-t-il, certaines choses en sont très proches, dont le mariage par Skype. Il s'agit dune vraie cérémonie, qui n'a jamais été montrée au cinéma. C'est une chance et  j'en suis fier". 

En parlant de Noces , vous mentionnez une tragédie grecque.

Absolument, c'en est une, intemporelle, universelle. Elle fait appel à de puissants enjeux moraux.  Je ne voudrais pas me vanter, mais aujourd’hui Sophocle raconterait Zahira.

Vous évoquez une affaire de tradition, pas de religion.

J’ai cru que c’était religieux, mais  je suis persuadé du contraire. Zahira reste musulmane jusqu’au bout. Même en rupture totale avec la tradition et ses valeurs, elle prie. Elle n’est pas en crise par rapport à l’islam. Plus important que la tradition toutefois, c’est l’honneur. Et encore au-dessus de l’honneur, comme me l’a confié une jeune fille, il s’agit de sauver les apparences. Finalement, l’honneur n’est  que de l’ego mal géré.

Pourtant vous ne condamnez pas. Tous personnages ont leurs raisons d’agir et du coup on se retrouve pratiquement dans tous. 

Je pense qu'il est important de comprendre les motivations. Cela ne signifie pas  les justifier. Par ailleurs,  chacun son travail. Je crois au regard, au point de vue de l'artiste. Le jugement moral dépend du spectateur, lui appartient. Il en dira d'ailleurs plus sur lui que sur le film.

Vous apportez également une réponse aux menaces obscurantistes pesant notamment sur la condition féminine

Je vais vous dire. Je suis intégralement féministe. Ne pas l’être est inacceptable, incompréhensible, anormal. Il est fou, délirant, monstrueux de couper l’humanité en deux et de considérer qu’une partie est inférieure  à l’autre.  Mais je trouverais dommage de réduire une œuvre d’art à sa fonction.  

Un mot sur les deux comédiens principaux pas ou très peu connus qui portent formidablement votre œuvre.

Ce sont en effet les merveilles du film.  Je souhaitais des vierges à l’écran. Certes, Sebastien Houbani, très crédible en grand frère, j'estime,  l’est moins que  Lina El Arabi, une ultra débutante. Je l’ai choisie pour son port de tête haut, alors que les actrices françaises la baissent souvent.  En réalité, je voulais Elisabeth Taylor, une immense tragédienne… Je l’adore pour son côté indomptable. Il suffit de la voir dans Une chatte sur un toit brûlant. Lina a ce tempérament.

On découvre aussi Olivier Gourmet,  avec qui vous avez déjà collaboré dans votre précédent long métrage Le monde nous appartient.

Pour moi, c’est le meilleur du monde.  Il sera dans mon prochain film Libre, un drame d’aventure et dans tous ceux à venir

A l'affiche dans les salles de Suisse romande depuis mercredi 19 avril.

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