Après Dieu sait quoi en 2004, où elle interrogeait des retraités sur le sens de la vie dans un grand parc parisien, Liens de sang en 2008 où elle explorait les rapports parents-enfants dans l’immeuble genevois des Stroumpfs, Fabienne Abramovich propose un nouveau documentaire, Loves Me, Loves Me Not.
On est à Paris. La nuit est tombée et des centaines de gens se rassemblent le long du canal de l’Ourcq. Jeunes ou un peu moins, ils viennent s’asseoir au bord de l'eau, se mêlent, se passent le pain, tissent des liens informels, se retrouvent le lendemain. Pour parler quasi exclusivement d’amour.
Fabienne Abramovich livre ainsi un métrage qui se veut un peu rohmérien, teinté de marivaudage, en filmant des couples qui racontent leur façon d'aimer, d'une ou de toutes sortes de manières. Une oeuvre intemporelle, singulière, hors mode black, sexe et banlieue. Un sujet casse-gueule où il fallait éviter les clichés, comme l'auteure le dit elle même, à l’occasion d’une rencontre où elle explique sa démarche.
Elle a débuté en 2010. L’écriture, essentielle, lui a pris deux ans et le tournage quatre. "Je ne pouvais filmer qu’en été, en majeure partie la nuit entre 21h30 et au mieux deux ou trois heures du matin. En tout quatre fois trois semaines". Elle a commencé des entretiens avec des jeunes gens et, petit à petit, a testé un dispositif extrêmement sommaire et précis. "J’ai travaillé presque seule, en choisissant, c'était primordial un temps et un lieu donné, à Paris. Et il me fallait l'eau pour le travail de l'image. J’ai compris que tous ces individus sur les berges représentaient mon Woodstock à moi".
Comment avez-vous trouvé vos protagonistes ?
Je faisais des repérages en me promenant avec une charrette, vêtue d’un habit de pêcheur et coiffée d’une casquette. Je voyais des gens, on buvait un verre, j’expliquais ce que je voulais. L’idée, c’était de les laisser échanger entre eux, en étant eux-mêmes, dans l’instant.
Ils ont une incroyable facilité d’élocution. Quelle est la part de l’improvisation ?
Ce n’est que de l’impro. Evidemment, comme ils se répétaient, j’ai beaucoup coupé. Je n’ai rien changé à leurs mots, à leurs phrases, mais j’ai construit les séquences, restructuré les conversations pour qu’elles soient audibles. J’ai écouté, tamisé, cadré. Un gros travail. C’est la raison pour laquelle je n’ai filmé qu’un couple à la fois, chacun d’eux me prenant environ quatre heures.
Il y a une chose qui surprend, ces couples middle class, jeunes pour la plupart et qui évoquent leur amour, sont pratiquement tous blancs. Ce qui ne paraît pas représentatif de la société actuelle.
Il ne s’agissait pas de faire du Benetton… En même temps, pour moi, le multiculturalisme est présent à travers notamment quatre jeunes Beurs qui certes sortent un peu du cadre, mais libèrent très vivement et assez crûment la parole, avec des Arabes passant en djellabah, avec la musique syrienne, des Blacks qui chantent. Ces derniers ne vont pas d'ailleurs pas volontiers s’asseoir au bord de l’eau. Ce n’est pas leur culture.
A l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 21 septembre.