Grand écran: "All Shall Be Well", drame queer montrant les préjugés et l'injustice derrière une apparente tolérance (29/10/2024)
Ancien avocat, directeur du Lesbian and Gay Festival de Hong Kong, le réalisateur et scénariste Ray Yeung privilégie un cinéma mettant en lumière des personnages plutôt rares à l’écran. Après Suk Suk (2019), évoquant une relation homosexuelle entre deux protagonistes âgés, il revient avec All Shall Be Well, film au titre ironique où il suit un couple de lesbiennes dans la soixantaine.
Plutôt aisées, Pat (Maggie Li) et Angie (Patra Au) sont ensemble depuis trente ans, ce que personne n’ignore. Ray Yeung commence par nous les montrer dans leur qutidien. Elles possèdent un confortable appartement, acquis à l'époque. Elles aiment la nature se promener, faire la cuisine. Dynamique, Pat envisage de créer en ligne de mode pour seniors. Ce soir-là, elles se préparent pour la Fête de la lune, où elles dîneront en compagnie de la famille de Pat, qui les aime beaucoup et à laquelle elles donnent généreusement des coups de main, vu que ses membres ne roulent pas sur l’or.
Et puis, c’est le drame. Dans la nuit, Pat meurt subitement sans laisser de testament. Tout s’effondre pour sa compagne. À la douleur immense de perdre sa bien-aimée, s’ajoute la perte de ce qu’elle possédait, l’héritage au complet – y compris l’appartement – revenant à la famille. Les relations se dégradent du jour au lendemain. Dès lors, Angie, simplement considérée comme une meilleure amie, est mise de côté. Totalement dépendante, elle n’a plus son mot à dire sur rien, ne sait même plus où aller.
Dans cette œuvre parfaitement incarnée par Maggie Li et Patra Au, Ray Yeung décrit avec sensibilité et justesse la situation de ses deux principales interprètes, surtout l’injustice et les préjugés dont est victime la malheureuse Angie dans une société où le mariage gay n’existe pas. Non seulement dépouillée sur le plan matériel, mais privée de toute dignité dans une identité bafouée.
«Je voulais que le public s’identifie à la famille»
Rencontré à Genève, le lauréat du Teddy Award à la Berlinale 2024 nous raconte que l’idée de son film lui est venue lors d’un débat sur les droits LGBTQIA+ à Hong Kong, niés en matière d’héritage. L’intervenant, un avocat, avait évoqué des cas de personnes qui ont vécu ensemble de longues années et qui, à la suite du décès de leur partenaire, ont tout perdu. «J’en ai interviewé quelques-unes, qui m’ont raconté leur histoire. Ce qui m’a particulièrement frappé, c’est la rapidité de la détérioration des relations avec la famille. Alors que tous se connaissaient depuis longtemps, étaient au courant de la situation, partaient même en vacances ensemble. Cela m’a beaucoup choqué et j’ai alors eu envie d’écrire une histoire sur ce manque de protection».
Vous dites avoir eu connaissance de cas beaucoup plus dramatiques que celui raconté dans le film. Mais vous avez choisi la nuance.
En effet. Je ne désirais pas montrer des monstres. En réalité, le conflit était latent. En dépit des apparences, la relation entre Angie et Pat n’était pas vraiment acceptée. Et dès la mort de cette dernière, tout change et s’accélère. La famille veut récupérer au plus vite ce qui lui revient de droit. Notamment l’appartement. Les prix sont tellement élevés, que les gens dans le film ne pourraient jamais s’en offrir un pareil. Comment réagirions-nous à leur place? C’était ça qui m’intéressait avant tout. Que le public s’identifie à un membre de la famille, qu’il se demande: «Qu’est-ce que je ferais si j’étais dans cette situation? Suis-je homophobe ou non?»
C’est aussi terrible pour Angie en ce qui concerne les funérailles. Personne ne l’écoute quand elle dit que Pat souhaitait reposer en mer.
Là encore, les droits vont à la famille. Angie n’est que sa meilleure amie. Elle est mise de côté lors de la cérémonie. J’en ai fait moi-même l‘expérience lors d’un enterrement où tout le monde, hormis des proches, étaient relégués au fond de la salle.
Le malheur qui frappe Angie peut arriver à tout le monde, mais plus précisément dans son cas. Pourquoi n’ont-elles pas été se marier à l’étranger?
Parce qu’à Hong Kong le mariage gay n’est pas légal. Même si vous êtes mariés à l’étranger., vous n’avez pas les mêmes droits qu’un couple hétéro. Vous pouvez aller au tribunal, mais c’est un processus difficile et sans aucune garantie, alors que vous êtes submergés par le chagrin.
Pourquoi Pat n’a-t-elle pas fait de testament?
J’ai posé la question aux gens que j’ai interviewés. Comment protégez-vous votre partenaire? «Oh, ma sœur saurait ce que je veux», m’a dit une femme. Et puis, si Pat ne le fait pas, c’est aussi par superstition. C’est dans la culture chinoise. Il y a la crainte de mourir trop tôt si on parle de la mort, si on fait un testament.
L’homosexualité a été dépénalisée en 1991 à Hong Kong. Mais comment va la vie queer aujourd’hui?
Les choses évoluent. La ville est tolérante. Soixante pourcent des gens sont même pour le mariage homosexuel. Mais ce n’est pas gagné. Le gouvernement pro-Pékin se fait tirer l’oreille. Il va d’ailleurs à l’encontre de la reconnaissance des droits des couples de même sexe par la justice, qui leur a toutefois refusé le mariage. Alors on attend.
A l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 30 octobre.
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