Grand écran: Alain Giraudie filme le désir dans "Miséricorde", un polar rural mystique. Interview (16/10/2024)

Après l’hédoniste Inconnu du lac, le délirant Rester vertical et le loufoque Viens je t’emmène, unanimement acclamés par la critique, Alain Guiraudie revient sur sa terre natale aveyronnaise avec son septième long métrage, le non moins remarquable Miséricorde.

Dans ce polar rural et mystique qui flirte avec la comédie burlesque, on suit le déroutant Jérémie (Félix Kysyl). Après dix ans à Toulouse, il retourne dans son village de Saint Martial pour l’enterrement du boulanger, son ancien patron. Il retrouve sa sympathique veuve, Martine (Catherine Frot), qui l’accueille affectueusement. Trop pour son fils Vincent (Jean-Batiste Durand), garçon jaloux aux pulsions violentes avec lequel Jérémie était ami. Ce dernier profite aussi de son bref séjour pour rendre visite au voisin Walter (David Ayala), autre ami plus âgé, gros nounours solitaire avec qui il a toujours eu envie de coucher. Va s’immiscer dans ce petit cercle le curé du village (Jacques Develay), un drôle de maître-chanteur aux intentions plus ou moins avouables.
 
Le retour inopiné de Jérémie sème la zizanie. Alors que jalousie, rancœur, vieilles blessures, non-dits, désirs réprimés et relation trouble remontent, la tension s’accroît jusqu’à la disparition mystérieuse de Vincent. Ce qui donne lieu à une enquête policière, sur fond de cueillette de champignons. Prétexte, pourquoi pas, à un plan cul…

Si Alain Guiraudie propose une vraie énigme à résoudre, il y met évidemment sa griffe particulière, son humour noir décoiffant, son côté absurde, son inventivité, sa malice, son audace, sa liberté de ton. Une grande réussite sublimée par la parfaite interprétation de tous les protagonistes, dont la désarmante Catherine Frot et l’ineffable Jacques Develay, bite conquérante au vent…
 
«Un désir suspendu, éternel, se régénérant de lui-même»

À l’occasion d’un entretien téléphonique, le très chaleureux Alain Guiraudie, cinéaste atypique qui sort parallèlement son roman Pour les siècles des siècles, nous en dit plus sur la genèse de son projet. «J’ai procédé comme avec tous mes films. Je brasse des choses, des fantasmes, je mixe l’intime et l’universel, avec les influences que j’ai subies. Miséricorde s’accorde à mes désirs Et puis j’avais envie de filmer l’automne. C’est la saison qui convient le mieux.»

Vous montrez l’érotisme sans acte sexuel.

Il y a une idée de ça en effet. Un désir qui ne s’assouvit pas dans la sexualité. Il est suspendu, éternel, se régénère de lui-même. Je suis ainsi plus proche de la réalité. Souvent l’amour n’est pas réciproque. Il y a donc ce mélange d’être plus conforme et d’essayer de développer cet érotisme
 
Pourquoi ce titre, «Miséricorde»?

Je trouve qu’il va super bien. Je l’ai trouvé assez vite. C’est un terme chrétien, intemporel. Un concept de pardon, d’empathie de compréhension. J’aime son côté désuet. C’est le mot qui me paraissait le mieux désigner un élan vers l’autre, de dormir avec lui, sans forcément coucher. C’est une vertu religieuse mais c’est aussi un sentiment humain, très fort de vouloir faire du bien à autrui.

Il est beaucoup question de religion. Vous dites d’ailleurs avoir de la tendresse pour les curés.

Je suis plus métaphysique que religieux. Quant à la tendresse pour les curés, c’est vrai Pour deux raisons. Consacrer sa vie à quelqu’un, faire une croix sur sa vie. Figurez-vous que j’aurais pu être prêtre. En outre c’était une échappatoire, voire le salut pour les homosexuels à la campagne. A la ville également, mais moins. Il s’agit d’un vrai refuge, ce sacerdoce. Pas d’obligation de se marier, pouvoir se mettre en robe. Les curés et les bonnes sœurs vivent une passion qui ne s’accomplit pas dans le sexe. Mais il y a une dimension érotique dans la religion catholique.

Drame, comédie, enquête policière, vous êtes à la frontière des genres.

Oui, il y a en plus une affaire à résoudre, mais en forme de polar trivial assorti de hautes questions morales. On s’arrange avec notre conscience, avec les gens qui dorment dans la rue, avec le massacre du Hamas, les bombardements à Gaza…

 Parlons des comédiens, notamment de Catherine Frot. Elle s’est elle-même dite étonnée que vous l’ayez appelée. Vous faites plutôt tourner des acteurs et actrices peu connu·e·s. Qu'est-ce qui vous a séduit chez elle?

 Je n’ai rien contre les stars, mais je leur trouve rarement des rôles. Je crains que l’on ne voie que la vedette derrière. Catherine Frot, pourtant, je l’avais dans la tête. Elle me charme  par son côté femme-enfant. Mais j’ai cherché un peu partout avant de me décider. .Ce n’est pas quelqu’un à qui on propose de lire un scénario pour rien. Elle m’a convaincu. Nous nous sommes mis d’accord sur deux ou trois trucs. Elle a vite compris que je ne cherchais pas quelqu’un qui vienne faire son numéro.

Et qu’en est-il du choix du lieu?

Je connaissais le village. Il m’avait plu car il était complètement à l’abandon. Quand j’ai commencé le film j’y ai repensé comme à celui de mon enfance. J’y suis retourné et il avait été complètement retapé. Mais en gardant son atmosphère avec des maisons anciennes. C’est un village intemporel, un village de contes.

A l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 16 octobre.

 

 

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