Grand écran: dans "Zone Of Interest", Jonathan Glazer filme l'horreur de la Shoah sans jamais la montrer. Absolument glaçant blogspirit (30/01/2024)

Le titre s’efface lentement pour laisser place, pendant de longues minutes, à un écran noir. Des sons organiques, oppressants.  Et puis la lumière, le soleil, le gazouillis des oiseaux, les joies de la baignade dans la rivière. C’est dans ce décor bucolique qu’on découvre le commandant d’Auschwitz Rudolf Höss, sa femme Hedwig et leurs cinq enfants. 

Entre pique-nique, pêche à la ligne et balades à cheval, ils mènent une vie idyllique dans leur jolie maison avec vastes jardins fleuris, grande serre et piscine. Mais juste derrière le mur, il y a le pire camp de la mort. Le film, tourné sur place, suit ainsi le quotidien des Höss, petits bourgeois épouvantablement médiocres et ordinaires. 

Deviner, imaginer, n’est que plus effroyable

La banalité du mal à l’œuvre. Pour The Zone Of Interest (les 40 kilomètres entourant Auschwitz-Birkenau), adaptation libre du roman de Martin Amis, le Britannique Jonathan Glazer a obtenu le Grand Prix à Cannes l’an dernier. Il a choisi le hors-champ pour raconter l’horreur de la Shoah sans la montrer. 

Mais il ne nous laisse jamais l’oublier, grâce à la bande-son (musiques composées par  Mica Levi), contrepoint saisissant aux images champêtres. Si on voit de loin le haut des toits des baraquements, la fumée s’échapper, on entend surtout les cris étouffés des prisonniers, les vociférations de leurs tortionnaires, le bruit des trains, des coups de feu, des chiens qui aboient. 

Deviner, imaginer cette violence indicible n’est que plus effroyable, le film se concentrant sur des scènes de famille, l’école, le ménage, les soucis de Monsieur (Christian Friedel). Fonctionnaire obéissant et zélé qui a vraiment dirigé le camp, il est notamment obsédé par le rendement des fours crématoires.

Des détails sinistres 

Et il y a ces détails sinistres. Volontairement ignorante, comme sa progéniture, des atrocités à sa porte, Madame, autoproclamée reine d’Auschwitz (Sandra Hüller), essaie un manteau de fourrure apporté par un domestique juif. Elle fait la moue. L’ourlet est déchiré...

Elle trie aussi quelques vêtements volés à des détenues, s’amuse en prenant le thé avec des amies, de la découverte d'un diamant si «ingénieusement» dissimulé dans un tube de dentifrice. Tandis que de l’autre côté du mur qu’on ne franchira pas, des milliers de Juifs meurent dans d’horribles souffrances, leurs cendres servant à faire encore mieux pousser les magnifiques fleurs devant lesquelles s’extasie Hedwig, son bébé dans les bras. Elle aime tellement son confortable chez-soi qu’elle refusera de suivre son mari à Berlin, après une promotion.   

On retiendra enfin deux scènes tournées en vision nocturne, où une fillette sème de la nourriture sur les chantiers où les prisonniers sont obligés de travailler comme des forcenés. Un trait d’humanité déchirant qui contribue à rendre l’ensemble absolument glaçant. Mais aussi immensément nécessaire.  

A l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 31 janvier. 

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