Grand écran: "Je verrai toujours vos visages" nous apprend comment mettre des mots sur les maux. Passionnant (08/04/2023)

La justice restaurative, vous connaissez? Pas vraiment. C'est normal, elle est méconnue. Complémentaire au traitement pénal d’une infraction, promue en Suisse par l'Association AJURES et dans la loi en France depuis 2014, elle consiste à mettre face à face des victimes et des auteurs d’une infraction (qu’il s’agisse des parties concernées par la même affaire ou non) et de les faire dialoguer.  Pour les agressés il s’agit de chercher l’apaisement, de trouver les moyens de se réparer, de se reconstruire et pour les agresseurs de prendre pleinement conscience de leurs actes, de leur répercussion et éviter de récidiver. Les discussions sont encadrées par des animateurs et médiateurs professionnels ou bénévoles. 

Basée sur le volontariat, n'entraînant pas de remise de peine, cette pratique a inspiré Jeanne Herry, auteure des excellents Pupille et Elle l’adore. Elle en a fait le sujet de son dernier film Je verrai toujours vos visages. Réunissant un casting cinq étoiles, la réalisatrice propose deux cas de figure dans une mise en scène au cordeau.  

Décor austère, reflet exact de la réalité, pour le premier. Il se passe en prison dans un cercle de parole composé de trois hommes condamnés pour vols avec violence (Dali Benssalah, Birane Ba, Fred Testot) et trois personnages interprétées par Gilles Lellouche, Leïla Bekhti et Miou- Miou (la mère de Jeanne Herry), victimes du même style de crimes. Ils ne se connaissent pas et vont échanger en présence de deux personnes (Jean-Pierre Darroussin, Suliane Brahim), formées donc pour les accueillir, comme cité plus haut,. 

Parallèlement et en-dehors, on découvre Chloé (Adèle Exarchopoulos), violée par son grand frère pendant son  enfance. Apprenant qu’il est sorti de prison  et vit dans la même ville, elle craque et demande l’aide d’une médiatrice  (Elodie Bouchez) avant de le revoir. Ces deux dramaturgies avec des pics différents où les comédiens se donnent à fond dans des confrontations sous haute tension,  révélateurs par ailleurs du fonctionnement de cette justice, donnent une œuvre passionnante et prenante, loin du dossier ou de la thèse.  

Trois formations pour la réalisatrice

Jeanne Herry s’impose brillamment avec ses dialogues et son cadre serré. Elle nous en parle plus longuement à l’occasion d’une rencontre, nous éclairant tout d’abord sur le titre Je verrai toujours vos visages. «ll y a deux versants, l’un un peu traumatique dans la mesure où la victime est marquée à vie par celui de l’agresseur et l’autre côté réparateur, suite à ceux découverts lors de rencontres qui peuvent changer la vie». 

Ce film a exigé une grosse documentation. Voire une formation.

En effet. Pendant quatre mois je me suis entretenue avec des animateurs et des médiateurs et après deux mois, j’ai rencontré des victimes et des auteurs. J’ai également suivi trois formations. 

C’est donc la parole comme remède, comme pansement sur les plaies. Un procédé par lequel les mots atténuent les maux en quelque sorte.

Effectivement. C’est libérateur. Les victimes peuvent dire leur souffrance être entendues par les criminels, tandis que ces derniers prennent plus largement conscience de leur acte, se mettent aussi à évoquer leur parcours. Chaque victime y a droit, mais ce n’est malheureusemeas assez proposé. Alors que ça marche bien. 

L’idée est avant tout de s’écouter, ce qui  se fait de moins en moins.

C’est vrai, il, existe un manque flagrant en politique à l’Assemble nationale, sur les réseaux. On privilégie le clash et l’affrontement, l’insulte. 

Un mot sur les médiateurs et médiatrices et l’importance de leur présence.

Le principal est de garder une bonne distance, de laisser la place aux protagonistes, anticiper, comprendre, ne pas intervenir, se mettre en retrait. Le gros du travail est de préparer en amont ceux qui prennent la parole. Les gens vont animer leur propre débat. Mais tout cela s’apprend en formation. 

« Je verrai toujours vos visages », à l’affiche dans les salles de Suisse romande depuis mercredi 5 avril.  

 

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