Grand écran: dans "Tar", Cate Blanchett fascine en cheffe d'orchestre dominatrice, brillante et exécrable (29/01/2023)

Elles ne sont qu’un petit 8% dans le monde. Et pourtant coup sur coup, deux films se penchent sur le destin de deux cheffes d’orchestre. Mais ils sont très différents. Alors que la Française Marie Castille Mention-Schaar raconte, dans Divertimento, le véritable parcours d’une jeune fille rêvant de tenir la baguette et créant son propre ensemble symphonique (voir notre interview du 24 janvier), l’Américain Todd Field emprunte un autre chemin avec Tar.. Celui de la fiction où il imagine Lydia, cheffe avant-gardiste du prestigieux 0rchestre philarmonique de Berlin. 

Le rôle a été écrit par l’auteur de Little Children pour Cate Blanchett qui livre une performance magistrale. Elle a déjà été sacrée meilleure actrice à la Mostra de Venise, aux Golden Globes, recevra un César d’honneur pour l’ensemble de sa carrière et compte bien rafler une statuette aux Oscars. Ce qui ne fait apparemment pas l’ombre d’un doute, tant cette formidable comédienne bouleverse avec sa partition virtuose. Elle n’incarne pas, elle est tout simplement Lydia Tar. 

Lesbienne pour le moins anticonformiste, rare femme à s’être imposée par son génie dans ce milieu masculin et machiste, la pionnière est au sommet de sa carrière. Exigeante, brillante, sûre d’elle, elle a tout, que ce soit sur le plan professionnel ou dans le prive où elle mène une vie agréable entre son épouse et leur petite fille.  

Tar, d’une durée de 2h38, commence par une longue interview de la musicienne face à un public conquis en dépit de sa manière prétentieuse, complexe et contradictoire d’expliquer et d’appréhender son art. Plus tard, alors qu’on apprend qu’elle va publier son autobiographie auto-écrite tout en préparant un cycle Mahler, on la voit se disputer assez violemment avec un étudiant prônant l’inclusion. Refusant catégoriquement d’écouter et de jouer du Bach qu’il trouve misogyne et fermé à la diversité, il finit par quitter la classe, ne supportant pas les remarques mordantes et humiliantes de la féroce Lydia. 

Petit à petit toutefois, Todd Field lève le voile sur les zones d’ombre et la nature sombre de son héroïne féministe dominatrice, en quête permanente de perfection et se croyant intouchable. Son existence apparemment parfaite se fissure suite à une accusation de harcèlement moral ayant entraîné le suicide d’une de ses anciennes élèves avec laquelle elle a eu une liaison. C’est alors que l’artiste visionnaire à la fois admirée, adulée, honorée et crainte, va tout perdre. 

Tout en brossant le portrait d’une femme talentueuse, fascinante, rebutante, voire exécrable, le réalisateur explore et dénonce, dans ce remarquable opus austère et plus ou moins post MeToo, les excès du wokisme, de la cancel culture, les mécanismes et abus persistants du pouvoir. Qui n’a pas de genre particulier et auquel on se heurte même lorsqu’on prétend l’abolir. 

A l’affiche dans les salles de Suisse romande depuis mercredi 25 janvier.   

 

22:22 | Lien permanent | Commentaires (0)