Grand écran: dans "Sous la peau", Robin Harsch suit trois ados sur le douloureux chemin de la transition. Interview (08/03/2020)
Effie Alexandra, Söan et Logan sont nés dans le mauvais corps. Avec des attributs qui ne correspondent pas à ce qu’ils sont. Obsédés par ce qui leur manque ou ce qu’ils ont en trop, par le regard de l’autre, par le dire ou le cacher. Pendant plus de deux ans, le Genevois Robin Harsh, se mettant à la place du spectateur, du parent ou du jeune qui se pose une foule de questions, a suivi ces trois adolescents sur le long et douloureux chemin de la transition, le grand bouleversement qu’elle provoque chez eux, leurs parents, les difficultés qu’elle entraîne à l’école et dans la société.
Mais il est surtout question d’une quête de leur véritable identité. De cette identité enfouie au plus profond de chacun d’eux. «Aujourd’hui on parle de LGBTI, mais il n’y a pas, dans l’alphabet, suffisamment de lettres pour décrire toutes les différences de l’humanité», explique Effie, qui ne s’est jamais senti un garçon. «J’étais une fille avec des organes génitaux différents. Je dirais même que j’avais un pénis de fille et que peut-être il allait tomber un jour. Je suis libre depuis que j’ai des seins. Mon corps m’appartient.»
«Dès que j’arrivais, ils me disaient “T’es un garçon ou t’es une fille ?” remarque Söan. « Que ça, tout le temps… Du coup, il y a un moment où j’ai basculé à l’opposé. Je me maquillais, j’avais un sac à main… Ce que je ne ferais plus jamais de ma vie aujourd’hui… » Pour Logan, c’est juste le haut qui le dérange beaucoup. «Comme une prison que t’as envie d’arracher.».
Robin Harsch, 42 ans, auteur de plusieurs courts métrages et de documentaires pour la télévision, s’est lancé dans l’aventure par hasard. « En 2015, une amie me parle de la création du Refuge à Genève, un centre qui permettra à des adolescents LGBTIQ+ de venir parler de leurs problèmes en lien avec leur préférences sexuelles ou leur identité de genre. Je me suis dit que cela ferait un bon thème de documentaire.»
Il a vu plusieurs gays, mais aucun ne voulait être filmé à visage découvert. «J’ai donc laissé tomber le projet et décidé, deux ans plus tard, de me concentrer sur les trans, grâce à Effie Alexandra qui avait envie de parler. J’ai ensuite rencontré Söan et Logan.»
Au début, Robin pensait les accompagner pendant six mois. « Mais c’était trop peu, chacun d’eux étant dans une étape différente sa transition et l’expérience a duré beaucoup plus longtemps. Tous les trois se sont livrés facilement. Le courant a passé très vite. Peut-être parce que je leur ai beaucoup parlé de moi, de de ma vie, de mes histoires d’amour.»
Un soutien parental primordial
Robin Harsch s’intéresse aussi évidemment aux parents, qui ont été plus difficiles à convaincre de s’exprimer. Il a fallu établir la confiance. La mère de Logan évoque alors sa souffrance. « C’est comme un deuil. Comme si ce garçon allait tuer ma fille que j’ai connue pendant dix-huit ans. Puis avec le temps, on récupère un jeune homme épanoui, bon à l’école, qui va mieux... » Pour la mère de Söan, il n’y a pas de genre. « Il n’y a pas de il ou elle. Ce qui reste c’est l’enfant. Fille, garçon, l’enfant. Il n’y a que lui. »
Le soutien parental se révèle primordial dans la mesure où plus de 70% des jeunes candidats à la transition ont eu des idées suicidaires. Un sur trois passe à l’acte ou fait une tentative selon des études internationales. Il n’y en a pas en Suisse, mais d’après une éducatrice du Refuge, le risque chute de 93% quand le trans est soutenu par son entourage. Reste que certains jeunes rejetés, voire menacés par leur famille sont en danger. D’où un hébergement proposé au centre pour préserver leur sécurité physique ou psychique.
Avec ce documentaire, Robin Harsch espère apporter sa petite pierre. «J’ai surtout pensé à ceux qui ignorent tout de la transidentité et ont des a priori. On voit heureusement de plus en plus de films sur le sujet et c’est tant mieux. Je pense que les mentalités changent, principalement chez les jeunes qui se montrent de moins en moins jugeants. Par exemple mon fils de neuf ans trouve que c’est bien».
A l’affiche le 11 mars à Genève et Lausanne, le 18 à Neuchâtel et ensuite dans le reste de la Suisse.
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