Grand écran: Guédiguian se mue en lanceur d'alerte dans "Gloria Mundi". Avec Ariane Ascaride sacrée à Venise. Interview (03/12/2019)
Après La Villa, Robert Guédiguian revient avec Gloria Mundi, émouvante chronique où il se penche sur une société en perdition. Le film ouvre pourtant sur un jour heureux. Une famille recomposée se retrouve à la maternité pour fêter la naissance de Gloria, la fille de Mathilda (Anaïs Demoustier) et de Nicolas (Robinson Stévenin).
Parallèlement on voit Daniel (Gérard Meylan), le père de Mathilda, sortir d’un long séjour en prison. Son ex-femme Sylvie (Ariane Ascaride), exploitée dans une société de nettoyage industriel et Richard (Jean-Pierre Darroussin), son second mari conducteur de bus, l’invitent à revenir à Marseille et à rencontrer sa petite-fille.
Mais le bonheur, illusoire, va bientôt céder la place à la noirceur, à la violence, à la colère, au désespoir, à la trahison. Le jeune couple n’arrive pas à nouer les deux bouts. Nicolas qui pense s’en sortir comme chauffeur Uber s‘enfonce dans les dettes, tandis que Mathilda, vendeuse à l’essai se morfond sans oser broncher dans cet emploi précaire. Elle envie sa demi-sœur Aurore (Lola Neymark) et son compagnon Bruno (Grégoire Leprince-Ringuet) qui s’enrichissent sans états d’âme sur le dos des plus pauvres.
Dans un Marseille gris et glacé à la modernité architecturale mondialisée, le toujours militant mais désabusé Robert Guédiguian brosse le portrait implacable d’une jeunesse aux abois, produit d’un monde impitoyable. Il lui oppose la génération précédente, assistant impuissante à la perte de ses idéaux, solidarité, fraternité, fidélité, dans un univers déshumanisé qui court à sa perte.
Il est symbolisé par cette famille modeste au destin tragique. Ce mélodrame en forme de constat social dur, amer et déprimant, où on peut reprocher au réalisateur de grossir le trait et de trop accabler les jeunes, a valu à Ariane Ascaride le prix de la meilleure interprétation féminine à la dernière Mostra de Venise.
Elle est parfaite dans le rôle de Sylvie qui se tue à la tâche pour subvenir aux besoins des siens. Et on n’oubliera pas, aux côtés des impeccables Demoustier, Darroussin, Stévenin, Leprince-Ringuet, Lola Neymark, le lumineux et poétique Gérard Meylan, réfugié dans une chambre miteuse où il écrit des haïkus, et qui se sacrifiera pour aider cette tribu qui se déchire, victime du marasme ambiant.
Gloria Mundi est probablement le film le plus noir et le plus pessimiste de Robert Guédiguian. Ariane Ascaride, rencontrée récemment à Genève n’en disconvient pas, tout en nuançant le propos. «C’est vrai. Il est très sombre. Mais en même temps Robert regarde les gens avec beaucoup d’amour et d’humanité. Il veut encore croire qu’on peut faire bouger les choses. C’est un cri d’alarme destiné aux politiques pour leur dire qu’on ne peut pas continuer comme ça. Il faut se préoccuper de ceux qui souffrent d’exclusion. A Paris, à Marseille et dans d’autres grandes villes, les cités, par exemple, forment un monde à part. Le fossé s’est considérablement creusé avec leurs habitants. Il faut aujourd’hui passer par l’école, la santé pour espérer que cela change».
On est tenté de dire qu'il s'agit presque d'un film "gilet jaune".
Robert l’écrit un an avant la crise. Quand on commence à tourner, c’est le début des manifestations. Pour moi un artiste anticipe toujours les choses. Je ne sais pas s’il parle des gilets jaunes, mais ce dont je suis sûre c’est qu’il évoque tous ceux qu’on ignore, qui s’épuisent pour des salaires de misère et ne savent pas comment ils vont finir le mois.
Parlez-nous de votre rôle de femme de ménage.
C’est la louve de Rome qui veut protéger ses enfants. Une combattante dans la survie. Et cela fait longtemps que ça dure. Il faut absolument s’en sortir. Elle ne veut pas que sa fille se retrouve dans la même situation quelle auparavant.
On est surpris que vous ne vous mettiez pas en grève comme les autres employés.
C’est en effet la première fois que je joue un personnage qui refuse de faire grève. Si c’était le cas, Sylvie ne pourrait pas sauver sa famille. Cela suffit à raconter l’état d’anxiété des gens avec ce tissu social complètement distendu, où il n’y a plus de proposition politique, où la gauche en a pris un sacré coup.
Vous avez neuf minutes pour faire une chambre. Quand vous frottez, on sent que ce n’est pas du flanc.
Je viens d’une famille populaire, je sais très bien frotter. Et ce n’est pas nouveau. Vous n’imaginez pas le nombre de films où j’ai dû passer l’aspirateur. Pour résumer, j’ai rarement été une princesse au cinéma.
Vous êtes entourée de Gérard Meylan (à droite), votre ex-mari dans le film et le second Jean-Pierre Darroussin. Il y a un petit parfum de Marie-Jo et ses deux amours.
J’y ai évidemment aussi pensé. Mais pour être juste, on est très souvent tous les trois, Robert ayant utilisé toutes les situations possibles et imaginables en me faisant jouer avec ces deux hommes.
Vous avez été sacrée meilleure actrice à Venise. Une surprise ?
Oui je l’avoue. Pourquoi moi ? C’est un film choral. Sincèrement, je pense que le prix d’interprétation aurait dû être masculin et aller à Gérard Meylan. Evidemment j’étais très contente. Mais c’est un métier difficile. Et après un prix il faut tenir. On change de statut.
Vous aviez pourtant déjà eu un César. Et apparemment vous avez bien supporté le choc.
C’est vrai. Mais je l’ai eu à 40 ans. Heureusement d’ailleurs. De toute façon, à 20 ans, je ne correspondais pas aux actrices de mon âge. Après avoir été un handicap, mon physique particulier s’est révélé un avantage. Je reste un peu à côté, mais je suis incontournable.
Dans le fond c’était une chance pour vous d’avoir un mari cinéaste.
Je vous signale que lui aussi avait de la chance de m’avoir! On a chacun amené quelqu'un. Au départ c’était une petite entreprise à quatre. Et cela fait 36 ans que ça dure.
A part deux films, vous jouez dans tous les Guédiguian. Vingt plus précisément. Mais vous collaborez avec d’autres réalisateurs. Comment cela se passe-t-il?
Très bien. J’adore travailler avec d’autres cinéastes. La seule chose que je ne supporterais pas c’est le conflit. On me prend comme je suis ou on ne me prend pas. C’est très clair.
"Gloria Mundi" à l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 4 décembre.
18:22 | Lien permanent