Grand écran: Polanski livre un film puissant avec "J'accuse". Mais la polémique continue... (13/11/2019)
Le ciel est menaçant au-dessus de cette cour de l’Ecole militaire où un soldat se voit retirer ses insignes d’officier. Dégradé, humilié, il ne baisse pas la tête… Cette scène fascinante ouvre J’accuse, qui tient à la fois du thriller, du film de procès et d’espionnage avec faux coupable et contre-enquête,
Adapté du roman D de l’écrivain britannique Robert Harris, le long métrage raconte l'une des plus grandes erreurs judiciaires de la fin du 19e siècle, avec la condamnation pour trahison du capitaine Alfred Dreyfus. Un énorme scandale mêlant déni de justice et antisémitisme qui a provoqué un séisme planétaire pendant les douze ans (1894-1906) qu’elle dura.
Démasquer les vrais coupables
J'accuse n’est pas pour autant un biopic sur Dreyfus (Interprété par Louis Garrel). Polanski a choisi de raconter l'affaire du point de vue du colonel Marie-Georges Picquart (Jean Dujardin). Nommé en 1895 à la tête du contre-espionnage, il découvre que les preuves contre le capitaine Alfred Dreyfus avaient été fabriquées. Antisémite, comme beaucoup à l’époque, il n’aura pourtant de cesse de démasquer les vrais coupables.
Picquart prévient en vain sa hiérarchie. Et c’est pour défendre Dreyfus que Zola, le 13 janvier 1898, publie dans L’Aurore la lettre ouverte: "J’accuse… ". L’écrivain y dénonce les responsables, officiers, généraux, ministres..
D’une actualité brûlante
Le casting est brillant, à commencer par un saisissant Jean Dujardin moustachu, sobre et dépourvu d’empathie, qu’on n’attendait pas dans un tel rôle, un Louis Garrel apparemment tout aussi exempt d’émotion, une Emmanuelle Seigner charmeuse en maîtresse très moderne de Picquart, dans la seule partition féminine importante. On citera aussi Grégory Gadebois, Melvil Poupaud, Denis Podalydès, Vincent Pérez.
Cette œuvre d’une actualité brûlante, très personnelle voire ambiguë, où Polanski apparaît lui-même en costume d’académicien dans un salon antidreyfusard via un caméo hitchcockien, impressionne par la manière dépassionnée, implacable, froide, dont l'auteur s’attaque à l’affaire.
Par ailleurs, cet opus à la dramaturgie puissante, à la narration riche, magistralement mis en scène, nous laisse éprouver physiquement les choses, la moisissure et l’humidité de certains lieux, l’inconfort de bureaux sombres et poussiéreux, des couloirs qui sentent mauvais…
Nouvelle accusation de viol
Incontestablement, le cinéaste livre un grand film. Mais peut-on séparer l’homme de l’artiste ? Eternelle et difficile question. Lion d’argent à Venise, il avait déjà provoqué des remous. Le cinéaste avait notamment établi un parallèle entre lui et le capitaine Dreyfus, dans un entretien figurant dans le dossier de presse en anglais du film. Cela n'a pas dû aider.
Et J’accuse continue à provoquer la polémique, le réalisateur ayant été rattrapé par une nouvelle accusation de viol, à cinq jours de la sortie, de la part de Valentine Monnier, une photographe française de 62 ans.
"En1975, j’ai été violée par Roman Polanski", a-t-elle déclaré au Parisien. Elle avait alors 18 ans. Les faits aujourd’hui prescrits se seraient déroulés dans le chalet du réalisateur à Gstaad. Ils n’ont jamais fait l’objet d’une plainte. Le cinéaste les conteste et dit réfléchir à une riposte.
Une promotion en partie annulée
La promotion du film a été du coup en partie annulée en France. Jean Dujardin s’est décommandé pour le 20 heures de TF1. Emmanuelle Seigner, la femme de Polanski, n'est pas allée à l'émission Boomerang prévue sur France Inter, tandis que Pop pop pop avec Louis Garrel, n’a pas été diffusée. France 5 a également zappé le C à vous, enregistré avec le même comédien.
Mardi, plusieurs avant-premières devaient se tenir à Paris. Une quarantaine de militantes féministes, scandant "Polanski violeur, cinémas coupables", ont bloqué l'entrée du Champo, dans le Quartier latin. Mais la principale projection, organisée au cinéma UGC Normandie sur les Champs-Elysées, en présence d’acteurs et de journalistes, s’est déroulée sans heurts. Reste maintenant à savoir si le public suivra.
A l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 13 novembre.
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