Grand écran: "Grâce à Dieu", film choc sur la parole pour briser le silence de l'Eglise (19/02/2019)
Bien qu’il ne révèle rien que l’on ne sache déjà, tout ayant déjà été publié, Grâce à Dieu de François Ozon sur le scandale de pédophilie dans l’Eglise lyonnaise, se trouvait sous la menace de deux assignations. Mais lundi, la justice a donné son feu vert à la sortie du film mercredi en salles, nonobstant la demande de report du prêtre Preynat, accusé d’agressions sexuelles sur des enfants, mais pas encore jugé.
Elle estime que la présomption d’innocence du père n’est pas bafouée, en raison de l’insert d’un carton le signalant en fin de générique. Par ailleurs mardi, Régine Maire, ex-membre du diocèse de Lyon qui exigeait que son nom soit retiré du film, a aussi perdu la partie.
«Grâce à Dieu, tous ces faits sont prescrits!» avait lancé le cardinal Philippe Barbarin lors d'une conférence de presse à Lourdes, en avril 2016, faisant allusion à ces abus. François Ozon s’est emparé de l’ignominie.
Auteur important, prolifique, éclectique (L’amant double, Frantz, Jeune et jolie, Une nouvelle amie, Potiche, Sous le sable, Huit femmes, Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, Le temps qui reste…), il signe un film fort, politique, engagé. C’est l’un de ses meilleurs, sinon le meilleur. Il a décroché le Grand prix du jury à la Berlinale.
Un long combat vers la vérité
Alexandre vit à Lyon avec sa femme et sa nombreuse progéniture, Un jour, il découvre par hasard que le prêtre qui a abusé de lui aux scouts officie toujours auprès de gamins. Il se lance alors dans un long combat pour faire éclater la vérité. Patient face à Barbarin qui l’enjoint à ne pas ressasser le passé. Sourd aux critiques acerbes de sa mère qui lui reproche d’avoir toujours été doué pour remuer la merde. Il est bientôt rejoint par deux autres victimes du prêtre, pour dire ce qu’ils ont subi. Dans Grâce à Dieu, François se penche ainsi sur la naissance de l’association La Parole libérée, qui a révélé le scandale. Au centre, le sinistre père Preynat, 72 ans, mis en examen pour des abus sexuels commis en 1980 et 1990 sur de jeunes scouts.
Le point de vue des victimes
L’affaire atteint le cardinal Philippe Barbarin, accusé avec cinq anciens membres du diocèse lyonnais de non-dénonciation de ces crimes. Rappelons qu’Il est passé en jugement en janvier dernier et son sort sera connu le 7 mars prochain. Mais aucune condamnation n’a été requise contre lui.
Concentré avant tout sur l’humain, le film adopte le point de vue de trois victimes, Alexandre, François, et Emmanuel, des hommes fragilisés dont il brosse le portrait. Portés par leur désir de reconstruction, fermement décidés à rompre le silence, ils sont formidablement incarnés par Melvil Poupaud, Denis Ménochet et Swann Arlaud (photo).
Sans se placer du point de vue judiciaire, François Ozon se livre à une véritable enquête auprès de l’association. Sa démarche n’est pas sans rappeler celle de l’équipe d’investigation du Boston Globe dans Spotlight, qui a permis de mettre au jour un scandale sans précédent d’abus sexuels au sein de l’Eglise catholique. Sauf que chez Ozon ce ne sont pas les journalistes qui dénoncent, mais les victimes qui accusent.
Un drame en trois actes
Impressionnant de maîtrise dans sa mise en scène, dans sa précision documentaire, François Ozon propose un drame palpitant qui se déroule en trois mouvements, chacun s’adaptant à la personnalité de son protagoniste. Les trois jouent ainsi successivement leur propre partition, le réalisateur ne craignant pas, par exemple, pas de perdre le premier, Alexandre, au bout de 45 minutes, le laissant passer le relais au suivant.
Avec ce film sur la libération de la parole pour briser l’omerta et l’inaction des autorités religieuses, François Ozon nous emporte, nous bouleverse, nous tient en haleine, tout en évitant le pathos, la pesanteur, l’excès d’indignation forcément inhérents au sujet. Un tour de force, un exploit, bref, un film à voir absolument.
A l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 20 février.
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