Grand écran: "Le poirier sauvage", une nouvelle fresque monumentale signée Nuri Bilge Ceylan (22/08/2018)
Palme d'or à Cannes en 2014 avec Winter Sleep, le Turc Nuri Bilge Ceylan, auteur d’un cinéma monumentaliste, propose sa nouvelle œuvre, une fresque familiale tournée dans Dardanelles, d’où il est originaire. Elle n'a cette fois pas eu l'heure de plaire au jury.
Son héros Sinan (Ahmet Rifat), 20 ans, vient de terminer ses études à Istanbul. Il n’a pas encore de travail et revient vivre auprès de sa famille à Canakkale, site archéologique de l'antique Troie. Passionné de littérature, il a écrit un premier roman qu'il compte faire publier, Le poirier sauvage, titre qui est aussi celui du film. Mais son livre décrivant la culture populaire n'intéresse personne. Impuissant à récolter l’argent nécessaire, il se voit bon pour le service militaire.
En attendant, c’est le temps des retrouvailles. Sinan revisite les lieux de son enfance, la ferme familiale, s’installe dans son ancienne chambre et retrouve des connaissances. Avec elles, il échange longuement autour d’une table, lors de promenades, ou d’une conversation sous un arbre avec un probable amour de jeunesse, une fille autrefois audacieuse et aujourd’hui prête à épouser un vieillard riche, quitte à être malheureuse. .
Arrogant, dédaigneux, provocateur
Suite à ce beau moment baigné de lumière, où la jeune femme ôte son foulard à l’abri des regards, Sinan s’attaque à un romancier célèbre, philosophe avec un intellectuel, croise le fer avec deux imams. Cette dernière rencontre donne lieu à un débat interminable entre un traditionnaliste et un réformiste sur l’évolution de la religion.
Arrogant, dédaigneux, insolent, impatient, sûr de lui, se fâchant sans cesse, Sinan aime provoquer ses interlocuteurs, pour lui des abrutis provinciaux qu’il prend de haut. Dont son père, qu'il doit réapprendre à connaître. un instituteur proche de la retraite, moustachu à la fois charmeur, ricanant et progressiste, que les villageois ne respectent pas.
Accro au jeu, couvert de dettes, il s’obstine à creuser un puits dans une terre sans eau. Son destin, auquel il est pourtant inexorablement lié, paraît misérable à son fils, à l’opposé de ses ambitions. Mais ce petit coq ingrat et peu sympathique, qui sera finalement ramené d’où il vient, ressemble déjà à ce géniteur qu'il méprise.
Profond, romanesque, mélancolique, tchékovien, visuellement magnifique, prenant quelques virages fantasmatiques et oniriques comme le plan de ce visage de bébé couvert de fourmis, Le poirier sauvage séduit évidemment aussi par son élégante mise en scène contemplative.
Ce récit d’apprentissage désabusé est toutefois très bavard et on sent passer les 188 minutes. Si Nuri Bilge Ceylan livre, entre ironie et dérision, quelques ellipses fulgurantes, le service militaire de son héros est ainsi résumé en quelques secondes, il prend son temps pour nous raconter cette histoire d’initiation, de filiation et de réconciliation entre les générations. Le tout sur fond de solitude, de malaise, d’espoir perdu dans une Turquie soumise à une dérive autoritaire.
A l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 22 août.
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