Grand écran: Anne Fontaine explore la différence dans "Marvin ou la belle éducation" (21/11/2017)
Martin Clément, né Marvin Bijou, a fui son village des Vosges, un père tyrannique, une mère triviale et résignée. Il a fui l’intolérance, le rejet, les brimades que provoquait sa différence. Heureusement, il a trouvé chez la principale de son collège, Madeleine Clément, une précieuse alliée qui lui a fait découvrir le théâtre et dont il empruntera le nom.
Il devra aussi son salut à un professeur gay, directeur intransigeant d’un centre d’art dramatique, qui lui révèle ses fêlures et le pousse à raconter son histoire. Marvin, devenu Martin Clément, va créer avec succès un spectacle libérateur qui achèvera de le transformer, réglant férocement ses comptes avec un milieu familial médiocre sinon sordide. Des proches non seulement incapables de le protéger, mais coupables, avant de changer, de participation à la violente homophobie ambiante. Au point que le garçon se sentait un étranger dans sa propre maison.
Marvin ou la belle éducation, récit sensible de ce jeune homosexuel qui se sauve pour devenir lui-même, est signé Anne Fontaine. Elle l’a coécrit avec Pierre Trividic, dont les interrogations sur les tourments du désir et de l’identité font écho aux thèmes déjà abordés par la réalisatrice.
Quelque chose de Marvin en chacun de nous
Opposant deux mondes, la cinéaste pour qui il y a quelque chose de Marvin en chacun d’entre nous, propose une mise en scène sobre et poétique. Elle laisse son protagoniste cheminer vers le monde salvateur de l’art, alternant deux époques qui se répondent en mêlant les séquences de Marvin enfant harcelé par ses camarades de classe, et celles de Martin adulte, apprenti puis artiste triomphant.
Une réussite magnifiée par les acteurs, dont Finnegan Oldfield (photo), formidable dans le rôle principal, Grégory Gadebois, figure paternelle à la Michel Simon, alcoolique, mal embouché et grande gueule, Vincent Macaigne prof d’art dramatique à la fois émouvant, blessé et intransigeant. Ou encore l’émouvante Catherine Mouchet, inoubliable Thérèse d’Alain Cavalier, dans le rôle d’un bienveillant et inspirant proviseur de lycée. Elle prouve l’importance primordiale de l’éducation et guidera Marvin vers son émancipation.
«Faire de sa différence une force»
Rencontrée à Genève, Anne Fontaine (photo)nous parle de son film inspiré par «En finir avec Eddy Belle gueule » d’Edouard Louis, mais où elle prend de grandes libertés par rapport au roman. «Edouard Louis est venu me voir et m’a proposé d’adapter le livre. Je l’ai trouvé incroyable, mais je lui ai dit que je ne me cantonnerais pas à l’enfance de Marvin. Je voulais évoquer la suite de son parcours. Ce qu’il a accepté ».
-Vous aimez l’idée que rien n’est jamais joué. Que les gens peuvent échapper à leur condition, même misérable.
Je traite de sujets où on peut parvenir à la lumière au prix d’une profonde détermination et si on a l’opportunité d’un regard posé sur vous. Pour Marvin, c’est celui de la principale du collègue. Elle est le déclic, le rôle initiatique, fondamental.
-Ensuite il rencontre ce professeur d’art dramatique, son pygmalion.
-C’est lui qui met des mots sur son mal-être en parlant de la différence au sens global, universel. Marvin fait alors de la sienne une force. Il assume son orientation sexuelle tout en enterrant un passé douloureux en jouant dans une pièce de théâtre qui est comme une catharsis.
-Cette glorification de la victoire sur soi s'accompagne d’une réflexion sur le travail de comédien.
-Le comédien travaille sur lui-même et peut ainsi jouer quelqu’un d’autre. Auteur de sa propre théâtralité, il est capable de poétiser, de « dramaturgiser ». Le théâtre est le salut, l’exutoire, une façon de communiquer, une découverte de la culture qui vous permet d’accéder à d’autres mondes
-Vous n’êtes pas tendre avec les parents de Marvin. En même temps vous ne les jugez pas.
.-Il est victime de leur inculture qui provoque leur intolérance, leur homophobie. Mais je les aime. Ils font ce qu’ils peuvent avec leurs moyens limités. Ils aiment leurs enfants, mais sont influencés par ce que pensent les gens des «pédés», ceux qui voient l’homosexualité comme « une maladie mentale ». Ils ont toujours entendu ces mots-là. Je montre toutefois un visage différent du père, l’évolution dans son attitude et son vocabulaire quand Marvin revient voir sa famille.
-Finnegan Oldfield est remarquable. Comment l’avez-vous choisi ?
Je l’avais vu dans « Les Cowboys » de Thomas Bidegain. En le rencontrant, j’ai su qu’il était Marvin. Il a une élégance, une présence. Pour le film, il a suivi une préparation physique, des cours de danse. La danse est une façon de mettre son corps dans l’espace, de l’habiter. Etre danseuse moi-même m’a aidée à transcender les difficultés que j’ai eues. Je me suis créée à travers cet art qui m’a aidée pour la mise en scène.
-Une dernière question. Pourquoi faire jouer son propre rôle à Isabelle Huppert ?
-.Marvin rencontre une icône du théâtre dans une soirée. J’ai tout de suite pensé à Isabelle. Nous sommes amies. Un moment je me suis demandée si j’allais l’appeler autrement. Mais j’ai finalement décidé que non..
Film à l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 22 novembre.
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