Grand écran: "Divines", l'électrisante révélation de Cannes. Sa réalisatrice, Houda Benyamina, raconte (08/09/2016)

abenyamia.jpgDans un ghetto où se côtoient trafics et religion, Dounia la "bâtarde", adolescente menue, énervée et rebelle qui habite dans un camp de Roms avec sa mère alcoolique, et son contraire, Mamounia, la douce mais super baraquée fille de l’iman, sont amies à la vie à la mort.

Ces deux pétroleuses poussées par la rage de vivre rêvent de s’élever dans un monde qui les rejette. Décidée à gagner beaucoup d’argent pour s’offrir ce qu’elle désire, Dounia se met à travailler pour Rebecca, redoutable dealeuse, plongeant ainsi dans l’univers glauque et dangereux de la petite pègre locale. Sa rencontre avec Djigui, un jeune danseur sensuel, va bouleverser son quotidien.

Signé de la réalisatrice Houda Benyamina (photo), réalisatrice marocaine de 35 ans, révélation du dernier Festival de Cannes en raflant la Caméra d’or, Divines nous embarque dans une tragédie électrisante virant parfois au comique, à la frontière des genres entre chronique sociale et polar. Avec une dimension spirituelle notamment dans la thématique, les conversations avec Dieu ou le choix de la musique sacrée.

Souvent comparé à L’esquive d’ Abdellatif Kechiche ou à Bande de filles de Céline Sciamma, l’opus dégage par ailleurs la folle énergie de son auteur, qui nous l’a prouvé dans son discours enflammé lors du palmarès cannois, en lançant à Edouard Waintrop, délégué général de la Quinzaine des réalisateurs qui l'avait sélectionnée, un vibrant et culotté "Waintrop, t’as du clito"!

Le théâtre la mène au cinéma

"Non seulement il s’en est remis, mais il est plus fort maintenant qu’il en a", remarque Houda en riant lors d’une rencontre à Genève. "En ce qui concerne mon énergie, j’ai du mal à mentir, à jouer, à prétendre. On m’a vue telle que j’étais à cette remise de prix. J’étais contente, je l’ai dit, je l’ai hurlé. C’était un cri d’amour".

Après la découverte du théâtre grâce à un instituteur, Houda Benyamina s’est rendu compte qu’elle était mieux faite pour le cinéma. "Le théâtre, c‘est comme le golf, il faut les moyens, un espace pour le pratiquer. Pour le cinéma, une caméra suffit".

divinesimage.jpgA l’origine de son premier long-métrage qui lui a pris quatre ans de sa vie entre l’écriture et son passage sur la Croisette, la colère, l’inégalité. "J’ai toujours été sensible à l’injustice. A l’école, je ne trouvais pas ma place. Mon film est né des émeutes de 2005 en banlieue parisienne que j’ai vécues de l’intérieur. J’ai eu envie de tout défoncer mais rien n’a changé. Et je me suis demandée pourquoi".

Pour vous Divines est toutefois un constat, pas une forme de révolte.

Parce qu’il n’y a pas eu de révolte justement. Nous n’avons pas pris les armes. La mienne c’est le cinéma. J’avais envie de parler des pauvres, des désaxés, des gens en marge, d’évoquer s’absence d’idéal, de repères, la toute-puissance de l’argent, le manque de spiritualité qui dépasse les religions. Bien que musulmane, je me sens proche des enseignements de Jésus. Et tout cela je le traite par le biais de l’humain en quête de reconnaissance, de dignité.

Pour autant, vous n’avez pas de message à délivrer.

Je ne me sens pas prophète. Je suis une cinéaste, qui donne son regard avec sensibilité. Je crois en l’homme, en la femme. Je pose des questions et je veux toucher le cœur. D’abord l’émotion, ensuite le verbe.

Ce n’est pas le premier film sur la banlieue, mais vous amenez quelque chose de neuf.

Sans doute parce que j’étais libre dans le sens que je voulais raconter, à travers une histoire d’amitié. C’est un film réaliste, mais il y a du lyrisme, du romantisme du rêve. Par ailleurs j’inverse les schémas traditionnels, je casse les codes de la banlieue. Je la montre telle que je la vois. C’est cela ma singularité.

Par exemple le caïd pour qui Dounia travaille est une femme, une flambeuse aux postures viriles qui joue de son pouvoir.

Je ne l'ai pas inventée. Il y en a de plus en plus. Je me suis inspirée de la réalité. Rebecca, je l’ai rencontrée. J’ai pas mal de réseaux dans le banditisme. Je suis aussi allée dans les quartiers, chez les Roms. J’ai fréquenté les commissariats. Les flics se sont montrés coopératifs.

Pour rester dans l’inversion, la note de féminité est donnée par Djigui un garçon passionné de danse, dont Dounia est amoureuse.

La grâce peut être masculine. Et puis surtout, selon moi, tout le monde danse On commence dans le ventre de sa mère. Djigui est l’alter ego de Dounia, en recherche comme elle de dignité et d’élévation mais par une voie spirituelle. Son but est de vivre de son art. A travers les scènes de danse, je dis l’importance de la culture qui offre une possibilité de s’en sortir autrement qu’avec l’argent.

aouloaya.jpgLes comédiens sont formidables. Un mot sur Oulaya Amamra, votre petite sœur qui interprète Dounia.

Je l’ai formée depuis l’âge de 12 ans. Mais au début, je ne la voyais pas dans cette fille. Elle manquait de sauvagerie, de rudesse. Ce n’était pas une bagarreuse. Elle l’est devenue dans la mesure où elle s’est beaucoup battue pour décrocher le rôle. 

Vous travaillez sur un autre long-métrage. Le fait d’avoir obtenu la Caméra d’or est-il  un peu inhibant ?

Non, au contraire. C'est un début, une étape. Je suis très critique avec moi-même. Divines a plein de défauts, je vois tout ce que je peux améliorer. Le prochain aura plus d’ampleur, même si je suis obsédée par la même problématique, le combat que nous menons contre nous-même, entre l’extérieur et l’intérieur. Je suis sur un grand terrain de jeu où je cherche Dieu, le sens de la vie le pourquoi on est là. Le tournage pour moi, c’est un pèlerinage.

Et où va vous emmener votre deuxième film ?

Historique, il couvrira une période de trente ans pendant laquelle il y aura la guerre. Il parlera d’amour, de liberté et de trahison.

A l'affiche dans les salles de Suisse romande depuis depuis mercredi 7 août.
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